Sauf sur modèle réduit,je n’ai pas navigué avec une voile de jonque, j’ai par contre navigué souvent bord à bord avec La Veuve noire, une coque alu type quarter tonner, environ 8m, dériveur intégral gréé d’une voile de jonque. je naviguais alors sur An Durzunel, lougre de 6,70 m pour 4,5 tonnes ou Enez Koalen, sloup aurique de 9,30 m. Je précise aussi que j’estime que le propriétaire de la Veuve Noire était un très bon marin, sachant faire marcher ses différents bateaux.
Ce que j’ai vu du gréement de jonque ne m’enthousiasme absolument pas, le seul moment où la Veuve Noire réussissait à passer An Durzunel au louvoyage (4 nœuds à 60° du vent, vmg 2 milles par heure) était par courant portant et brise soutenue où son cap formidable compensait sa lenteur par l’économie de virements de bord. les performances étaient assez similaires aux autres allures sauf par petit temps où une jonque ne peut renvoyer de toile et au vent arrière où le lougre fait merveille, 6 nœuds de moyenne pour 5,9m de longueur de flottaison.
Si on compare cette voile de jonque à un gréement marconi en tête mal utilisé, cette voilure peut faire illusion: un bateau dépourvu d’enrouleur et équipé d’un génois lourd, de deux focs et d’un tourmentin peinera autant par petit temps et ne sera supérieur à la jonque qu’au louvoyage dans le médium et la brise, la jonque sauvant les meubles dans le petit temps et mer plate par son très bon cap. Au portant, si on bannit le spi, il n’y a pas photo non plus...
À mon avis, ce qui permettrait à la jonque de compenser ses deux gros défauts, manque de puissance aux allures de près et impossibilité d’augmenter la voilure par petit temps, ce serait de pouvoir l’équiper d’un foc, mais sans barres de flèche, ce qui impose soit un capelage assez bas pour avoir des haubans efficaces soit un diamètre de mât rédhibitoire et/ou l’utilisation de composites extrêmement coûteux. Une autre solution souvent choisie est de surtoiler le bateau, ce qui engendre des espars grands et lourds,dangereux dans la brise par le tangage qu’ils engendrent.
Si on se réfère à l’expérience des autres qu’on appelle la tradition, on voit qu’à matériaux (presque) égaux, le gréement de jonque est très lourd, malgré l’utilisation de voiles en nattes (beaucoup plus légères que des voiles en lin) et de lattes en bambou (un peu plus légères que des espars en résineux). Le centre de gravité ne monte pas trop grâce à l’absence de gréement dormant et de ferrures, par contre la nécessité d’étaler le gréement en longueur pour porter la toile nécessaire à la marche du voilier impose un mât de misaine très coûteux en tangage, beaucoup plus qu’un foc bout-dehors, par exemple. Heureusement, dans les cultures maritimes, les choses n’évoluent pas linéairement, et les formes des coques de jonque ont évolué pour amortir le tangage: dissymétrie longitudinale des volumes immergés, sections avant en U et augmentation rapide des volumes avant à l’immersion. si on veut concevoir un gréement de jonque, il est nécessaire de se poser la question de la forme de coque, sinon on risque de concevoir un bateau collé à l’eau par petit temps et dangereux dans la brise, je crois d’ailleurs savoir que le propriétaire de La Veuve Noire navigue aujourd’hui sur un voilier beaucoup plus classique.
Tout ça ne veut pas dire qu’il faut abandonner le gréement de jonque, encore moins qu’en dehors du sloop marconi moderne, point de salut; il s’agit juste d’un avertissement pour les apprentis sorciers que nous sommes tous: la conception d’un bateau de mer, ne s’improvise pas, tous les éléments sont corrélés, je ne vais pas gréer mon first 18 en trois-mâts barque, non plus qu’ en misainier à tapecul, du moins pas sans étudier toutes les incidences de la moindre modification, et je ne parle pas que de la pose de renforts adéquats.
Je prépare un nouveau post pour donner mon point de vue sur pourquoi il faut adopter ou rejeter la voile de jonque (et toutes les autres!

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