Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
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Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Bonjour,
ce topic se veut le réceptacle des avis/concepts que les acteurs plus ou moins directs de l'aile rigide tiendront sur le web.
Les propos tenus évolueront donc au fil du temps, et des connaissances acquises qu'ils voudront bien divulguer.
Question à Yann Guichard, futur skipper du MOD Spindrift Racing, également engagé sur les Extreme Sailing Series avec Alinghi, et avec l’Energy Team- vu sur laregate.fr
Tu as navigué sur l’AC45 d’Energy Team, quels sont les plus grosses différences entre ce catamaran à aile et un multicoque à gréement conventionnel ?
L’aile rigide est très efficace, nous l’avons vu lors de la dernière coupe, elle diminue beaucoup le fardage, le bateau est donc plus évolutif, il vire et empanne mieux.
La gestion de la puissance est assez incroyable sur les AC45, c’est très précis, nous avons trois réglages sur l’aile: le traveller qui permet de régler toute l’aile, ce qu’on retrouve sur un gréement classique ; le camber, qui est l’équivalent de la bordure sur un multi classique comme l’Extrême 40 ou le D35, et qui permet de régler la profondeur entre l’avant de l’aile qui nous appelons le mât et les flaps ou volets sur l’arrière de l’aile ; le twist, qui permet d’enlever de la puissance sur les flaps, ce qui correspond au cunningham. Ces éléments ne sont donc pas complétement différents dans la façon de naviguer.
Le fait de gérer à volonté la puissance est assez formidable. ce qui permet également de régater dans des conditions musclées, comme à Plymouth, où les catamarans ont navigué dans 30 nœuds de vent, ce qui est rare pour des multicoques de cette taille.
Les flotteurs sont très volumineux, les safrans ont une grande surface, ce qui amène un bon contrôle, le bateau est donc très tolérant.
L’aile gomme les défauts du multicoque par rapport au monocoque, un mono est très évolutif, l’aile rigide apporte cette évolutivité, la diminution du fardage fait que le bateau ne s’arrête pas, ce qui est une difficulté sur les phases de départ où il faut gérer le timing à la ligne.
L'avis de laregate.fr au sujet des ailes d'AC72 (suite au chavirage d'Oracle dans la baie de San Francisco).
L'aile rigide
Cette aile rigide est très efficace en multicoque, elle permet de réduire considérablement la traînée. Cela facilite donc particulièrement les virements car les bateaux ne sont pas (ou peu) ralentis par le gréement face au vent. De plus, l'aile peut facilement être twistée pour décharger l'excès de puissance.
En chiffres, l'aile d'un AC72 mesure 40 mètres de haut, pour une surface de 260 m² et un poids de 1,350 Tonnes. A titre de comparaison, un multi 60' ORMA a un mât de 30 mètres de haut, une GV de 186 m², et un poids total mât+GV de 750 kg. Ajoutons à cela que le coefficient de lift (CL, la poussée que la voile est capable d'amener au bateau) d'une aile d'AC72 est une fois et demi supérieur au mât + GV d'un 60' ORMA. Cela nous donne un centre de gravité (CG) à 17 mètres sur un AC72, et à 12 mètres seulement pour un 60' ORMA.
On peut donc considérer que l'aile d'un AC72 est très puissante par rapport à un trimaran ORMA, qu'elle est quasiment 2 fois plus lourdes, et que son CG est assez haut, ce qui n'aide pas à la stabilité et à la maniabilité du bateau par vent soutenu.
Pour terminer sur l'aile, un petit détail qui a tout de même son importance : on ne peut bien sûr pas prendre de ris... Là où un 60' ORMA prend un ris aux alentours de 18 noeuds de vent, l'AC72 ne peut que twister l'aile un peu plus, ce qui n'a évidemment pas le même effet, surtour à des allures plus portantes…
…Pour résumer, un AC72 a donc une capacité à tenir sa toile équivalente à un 60' ORMA, alors qu'il a 40% de surface de GV en plus, pour un poids quasiment 2 fois plus élevé, un CL 1,5 fois plus efficace et un CG 5 mètres plus haut... Le tout sans pouvoir prendre de ris ! Alors oui, les AC72 ne sont pas faits pour traverser l'Atlantique, mais quand même... Quand on pense qu'on trouvait les 60' ORMA trop puissants...
…Les parcours seront les mêmes que ceux des ACWS, c'est à dire un départ au reaching, 2 tours et demi, et une arrivée au reaching. C'est dire si la puissance va compter sur les phases de départ ! Pour l'instant, et la vidéo du chavirage d'Oracle le démontre, c'est au reaching que l'AC72 est le plus compliqué à manier. Même avec une aile très twistée, le bateau est ultra puissant et du fait des haubans très reculés, les régleurs ne peuvent pas choquer autant qu'ils le souhaiteraient. La marge d'erreur de ces bateaux là, sur des phases de départ en match racing dans des conditions soutenues, est donc très très faible...
L'Avis du suisse Christian Favre, au travers d'un article écrit par Tom Meyer pour skippers.tv, en 2011
le site internet de Christian Favre : http://www.ventilo.ch/
…ne nous emballons pas trop vite, indique Christian Favre, patron de Ventilo et concepteur du catamaran M2 : « L’aile rigide n’a de sens que sur des bateaux très rapides, et donc très légers, atteignant des vitesses de 20 nœuds et plus. » Ce qui limite évidemment la portée de la « révolution » à venir. Du côté des monocoques, elle paraît réservée aux bateaux de type Moth, ou Mirabaud LX (qui tous deux combinent aile et foils) ou encore Scow, cet étonnant monocoque de 14,20 m dessiné par l’architecte Thomas Tison. En revanche, elle devrait faire le bonheur des multis, et en particulier des M2, projet sur lequel Christian Favre travaille d’arrache-pied…
Analyse des Wing Sails par Luc du Bois, acteur suisse au sein de la classe A
…une aile rigide permet de faire disparaitre complètement le problème de la tension d'écoute de grande voile (qui serait au minimum de 15 tonnes dans la brise). Cette réalité explique quasiment à elle seule le choix d'une aile rigide pour les AC72 et est probablement plus importante que les considérations de performance pure.
Pour en revenir au Class-A et au petits bateaux qui ont essayé dernièrement les ailes rigides: Moth et Class-A, aucune des ces classes n'a démontré un clair avantage avec une aile. Je pense que ça tient à plusieurs facteurs:
Comme expliqué plus haut une aile n'est pas forcément plus performante dans toute les conditions de vents par rapport à une voile souple (loin s'en faut).
Les gréements actuels sont très optimisés et les formes des voiles tant au niveau des volumes que du twist se marient parfaitement avec les caractéristiques de flexion des mâts. Avec ce que j'ai constaté des systèmes de contrôles des ailes actuelles, je ne vois pas comment on pourrait arriver à un tel niveau de précision des réglages. Sur les ailes actuelles, il n'y a pas vraiment moyen de régler le twist de la chute dynamiquement. Il n'y a qu'un "traveller". Au près c'est certainement une limitation, au portant c'est loin d'être idéal. C'est très grossier comme moyen de réglage.
En général une aile rigide sera plus lourde qu'un gréement souple. Cela n'est pas négligeable si on considère l'effet néfaste que ça a sur le pitching du bateau. Spécialement pour les petits bateaux où l'état de la mer devient proportionnellement très vite très agité (la hauteur des vagues est la même pour le genre de régates que nous faisons qu'on navigue sur un AC72 ou sur un Class-A).
La tension d'écoute qui disparait complètement est probablement un autre facteur de déstabilisation du gréement (surtout au portant). Les haubans sont les seuls éléments qui empêchent le mat de partir en avant. (On a tous remarqué l'effet qu'a un choqué d'écoute dans la brise au portant !!!!) Sur un AC72 la tension d'écoute dont je parlais est intégralement reportée dans les bastaques (rien n'est gratuit !!!!)
Un dernier facteur très théorique et sans entrer dans les détails. Quand on compare ailes (ou voiles) de tailles différentes on utilise souvent le "nombre de Reynolds". Ce chiffre à aussi une tendance à indiquer que plus une surface générant de la portance est grande, plus le concept d'une double surface est efficace par rapport à une simple surface. Par rapport à la taille de notre gréement une aile rigide n'est donc pas particulièrement intéressante.
En résumé je dirais qu'il n'est pas exclu qu'une aile rigide puisse être plus efficace sur une saison qu'un gréement souple mais personne ne l'a encore démontré et cela va demander du développement intensif (temps et argent). Toute les approches relativement simples (mais néanmoins sérieuses) n'ont rien amené de concluant pour l'instant…
L'avis de Dimitri Despierres, un des nombreux français qui a participé à la conception de l'aile rigide de BMW Oracle Racing en 2009, sur le site internet tribormat.fr.
Quel est le principe de l’aile, enfin des ailes. L’intêret par rapport à une voile classique ?.
Le principe de l’aile réside dans sa capacité à créer un coefficient de portance plus élevé que les voiles classiques, avec un contrôle sur chaque flap et donc une maitrise de la forme que l’on cherche à obtenir. Il est beaucoup plus aisé d’obtenir la forme recherchée sur les ordinateurs via une aile rigide que via des voiles classiques. Entre autre, l’aile rigide arrive à créer une portance égale à une grand-voile et une voile d’avant à partir de 7 nœuds environ. Je te laisse imaginer la simplicité d’utilisation d’une telle aile et les efforts bien moindre comparés aux voiles classiques. Rien que la tension d’écoute de grand-voile (pour une voile classique) pour obtenir le même vrillage théorique fait pâlir n’importe quel ingénieur de structure !
Est ce que tu peux nous décrire l’architecture de l’aile au niveau structure ? Les différences par rapport S&S en 1988 en dehors de la taille et les Class C et A sur lequel c’est déjà utilisé.
L’aile se compose d’un « main element » et de ses « flaps » (volets, aux nombres de 8). Le « main element » est disons la partie la plus structurelle de l’aile et peut s’apparenter à un mât même si c’est réellement un élément de l’aile à part entière. Le « main element » est composé de 3 parties ; le cone avant (partie en kevlar jaune visible sur l’avant de l’aile). C’est une partie non structurelle et qui n’est la que pour respecter le profil de l’aile définie par Joseph Ozanne. La partie noire (carbone) derrière le cone c’est le « main element main spar », en gros le mat, le vrai élément qui supporte la compression de l’aile et maintient tout le reste en flexion et torsion. C’est un vrai tunnel dans lequel pas un mais plusieurs personnes peuvent entrer et circuler dedans ! C’est un vrai ascenseur, surtout depuis qu’il n’y a même plus besoin de tourner des manivelles pour envoyer des gars en haut. Derrière cet élément viennent des panneaux horizontaux, certains appelés principaux parce qu’ils reprennent plus d’effort verticaux, d’autres appelés intermédiaires qui ne sont là quasiment que pour faire respecter la forme aérodynamique de l’aile une fois le film apposé et tendu par une opération thermique (technique utilisée pour réaliser les empennages de planeur et de certains avions).
Derrière ce « main element » viennent les 8 volets. Ils sont conçus quasiment sur le même principe si ce n’est que la partie « cone » et « spar » du volet ne font qu’un. C’est une partie structurelle qui reprend la torsion et la flexion pour chaque flap. Une « ossature » semblable à l’élément avant est fixée derrière. Ce sont de nouveau des panneaux horizontaux sur lesquels vient s’appuyer le film. Des liaisons verticales assurent la cohérence structurelle de l’ensemble mais tous ces panneaux sont d’une légèreté effarante que ce soit pour la partie avant ou les volets. Ils sont tous composés de panneau en nid d’abeille et une peau de carbone dessus-dessous. Tous ces panneaux sont bien entendu ajourés pour minimiser le poids de la structure. Comme je l’ai déjà dit, c’est bien dommage qu’on ne soit pas capable de voir cette ossature qui est magnifique. Un aperçu à une plus petite échelle de ce que nous avons fait est tout simplement extrapolable à partir de ce que l’on voit sur les class-C.
Coté différences par rapport à S&S de 88, je dirai que c’est le même concept mais avec de nouveaux matériaux, plus optimisée grâce aux moyens. C’est aussi une technologie de construction qui bénéficie de 20 ans d’expérience dans le composite depuis l’aile de David Hubbard qui a d’ailleurs repris du service chez nous pour celle-ci. Il a été de très bon conseil. La proximité de Boeing et son grand fournisseur de moules Janicki a accéléré la production et les nouveaux outils de découpe de précision nous ont permis des assemblages de qualité en un temps record compte tenu de la taille. Un vrai kit de construction cette aile !
Quels sont les réglages de l’aile ? Qu’est ce que l’on peut commander ? et comment ?; Est ce que c’est controlé par ordinateur, est ce que le moteur est indispensable.
Comment gère t’on les surventes ?
Les réglages de l’aile c’est tout d’abord l’angle entre l’élément avant et l’ensemble des volets, c’est le camber. Ensuite tu as la rotation de l’ensemble vis-à-vis de la plateforme, c’est le traveller (ou l’équivalent d’un chariot de grand-voile si tu préfères). Ce réglage fait tourner l’ensemble de l’aile par rapport a son point de pivot situé sous le « main element », c’est le pied de mat en gros. La terminologie doit être rigoureuse car tu t’aperçois vite qu’il peut y avoir une confusion chez les navigants entre chariot et écoute de grand-voile en ce qui concerne l’aile. Ici, il n’y a plus d’écoute de grand-voile !!! Ce réglage est remplacé par un vérin qui contrôle le vrillage de l’ensemble des volets. Rajoutes à ca quelques subtilités qui permettent le réglage du twist de chaque flap les uns par rapport aux autres et tu obtiens l’effet de ton écoute de grand-voile sans tension transmise à la plateforme !
L’ensemble de ces commandes excepté le chariot est commandé par hydraulique. Le chariot revient sur un winch actionné par des pompes hydrauliques via le moteur mais comme tu le sais, celui-ci n’est clairement pas indispensable. Commander l’aile via un plan de pont classique (avec colonnes de winch et pompe hydraulique rotative actionnée humainement) est totalement envisageable voire même bien plus simple que de gérer des voiles classiques ! Le contrôle peut se faire manuellement via le régleur ou via un PLC (Programmable Logic Controller). Je te laisse expliquer ce que sait. Une fois que tu as rentré des valeurs cibles de vrillage issues de tes études théoriques en fonction d’une force et d’un angle de vent ou bien du coefficient de portance que tu recherches, tu peux imaginer que l’ensemble s’auto-règle. C’est un peu comme un avion sur auto-pilot ! Rajoutes un vérin sur le chariot et on ne sera pas bien loin d’une coupe de l’America en solo ! Bientôt un mec à bord pour barrer (et encore…) et 60 mecs pour s’occuper du bateau à terre… Cherche l’erreur !
Il semble que le trimaran accélère beaucoup plus vite dans les manœuvres. Est ce que l’on peut imaginer avec ces nouvelles capacités données aux multicoques faire du match race ?
L’aile a définitivement ouvert des portes et des capacités de manœuvres accrues pour le match race en plus de son gros potentiel en ligne droite. Nous savons que nous sommes surveillés de près par Alinghi et ils savent déjà de part la trace radar qu’ils enregistrent qu’ils ne pourront rivaliser avec nous dans un domaine au moins sauf d’avoir une aile eux-mêmes. Dis toi que l’aile commence à produire de la portance quasi immédiatement à angle très faible et pour un minimum de trainée (Je ne dévoile rien)… J’imagine qu’avec tes connaissances de navigations en cata de sport tu comprendras vite la réciproque de ce genre d’application !
ce topic se veut le réceptacle des avis/concepts que les acteurs plus ou moins directs de l'aile rigide tiendront sur le web.
Les propos tenus évolueront donc au fil du temps, et des connaissances acquises qu'ils voudront bien divulguer.
Question à Yann Guichard, futur skipper du MOD Spindrift Racing, également engagé sur les Extreme Sailing Series avec Alinghi, et avec l’Energy Team- vu sur laregate.fr
Tu as navigué sur l’AC45 d’Energy Team, quels sont les plus grosses différences entre ce catamaran à aile et un multicoque à gréement conventionnel ?
L’aile rigide est très efficace, nous l’avons vu lors de la dernière coupe, elle diminue beaucoup le fardage, le bateau est donc plus évolutif, il vire et empanne mieux.
La gestion de la puissance est assez incroyable sur les AC45, c’est très précis, nous avons trois réglages sur l’aile: le traveller qui permet de régler toute l’aile, ce qu’on retrouve sur un gréement classique ; le camber, qui est l’équivalent de la bordure sur un multi classique comme l’Extrême 40 ou le D35, et qui permet de régler la profondeur entre l’avant de l’aile qui nous appelons le mât et les flaps ou volets sur l’arrière de l’aile ; le twist, qui permet d’enlever de la puissance sur les flaps, ce qui correspond au cunningham. Ces éléments ne sont donc pas complétement différents dans la façon de naviguer.
Le fait de gérer à volonté la puissance est assez formidable. ce qui permet également de régater dans des conditions musclées, comme à Plymouth, où les catamarans ont navigué dans 30 nœuds de vent, ce qui est rare pour des multicoques de cette taille.
Les flotteurs sont très volumineux, les safrans ont une grande surface, ce qui amène un bon contrôle, le bateau est donc très tolérant.
L’aile gomme les défauts du multicoque par rapport au monocoque, un mono est très évolutif, l’aile rigide apporte cette évolutivité, la diminution du fardage fait que le bateau ne s’arrête pas, ce qui est une difficulté sur les phases de départ où il faut gérer le timing à la ligne.
L'avis de laregate.fr au sujet des ailes d'AC72 (suite au chavirage d'Oracle dans la baie de San Francisco).
L'aile rigide
Cette aile rigide est très efficace en multicoque, elle permet de réduire considérablement la traînée. Cela facilite donc particulièrement les virements car les bateaux ne sont pas (ou peu) ralentis par le gréement face au vent. De plus, l'aile peut facilement être twistée pour décharger l'excès de puissance.
En chiffres, l'aile d'un AC72 mesure 40 mètres de haut, pour une surface de 260 m² et un poids de 1,350 Tonnes. A titre de comparaison, un multi 60' ORMA a un mât de 30 mètres de haut, une GV de 186 m², et un poids total mât+GV de 750 kg. Ajoutons à cela que le coefficient de lift (CL, la poussée que la voile est capable d'amener au bateau) d'une aile d'AC72 est une fois et demi supérieur au mât + GV d'un 60' ORMA. Cela nous donne un centre de gravité (CG) à 17 mètres sur un AC72, et à 12 mètres seulement pour un 60' ORMA.
On peut donc considérer que l'aile d'un AC72 est très puissante par rapport à un trimaran ORMA, qu'elle est quasiment 2 fois plus lourdes, et que son CG est assez haut, ce qui n'aide pas à la stabilité et à la maniabilité du bateau par vent soutenu.
Pour terminer sur l'aile, un petit détail qui a tout de même son importance : on ne peut bien sûr pas prendre de ris... Là où un 60' ORMA prend un ris aux alentours de 18 noeuds de vent, l'AC72 ne peut que twister l'aile un peu plus, ce qui n'a évidemment pas le même effet, surtour à des allures plus portantes…
…Pour résumer, un AC72 a donc une capacité à tenir sa toile équivalente à un 60' ORMA, alors qu'il a 40% de surface de GV en plus, pour un poids quasiment 2 fois plus élevé, un CL 1,5 fois plus efficace et un CG 5 mètres plus haut... Le tout sans pouvoir prendre de ris ! Alors oui, les AC72 ne sont pas faits pour traverser l'Atlantique, mais quand même... Quand on pense qu'on trouvait les 60' ORMA trop puissants...
…Les parcours seront les mêmes que ceux des ACWS, c'est à dire un départ au reaching, 2 tours et demi, et une arrivée au reaching. C'est dire si la puissance va compter sur les phases de départ ! Pour l'instant, et la vidéo du chavirage d'Oracle le démontre, c'est au reaching que l'AC72 est le plus compliqué à manier. Même avec une aile très twistée, le bateau est ultra puissant et du fait des haubans très reculés, les régleurs ne peuvent pas choquer autant qu'ils le souhaiteraient. La marge d'erreur de ces bateaux là, sur des phases de départ en match racing dans des conditions soutenues, est donc très très faible...
L'Avis du suisse Christian Favre, au travers d'un article écrit par Tom Meyer pour skippers.tv, en 2011
le site internet de Christian Favre : http://www.ventilo.ch/
…ne nous emballons pas trop vite, indique Christian Favre, patron de Ventilo et concepteur du catamaran M2 : « L’aile rigide n’a de sens que sur des bateaux très rapides, et donc très légers, atteignant des vitesses de 20 nœuds et plus. » Ce qui limite évidemment la portée de la « révolution » à venir. Du côté des monocoques, elle paraît réservée aux bateaux de type Moth, ou Mirabaud LX (qui tous deux combinent aile et foils) ou encore Scow, cet étonnant monocoque de 14,20 m dessiné par l’architecte Thomas Tison. En revanche, elle devrait faire le bonheur des multis, et en particulier des M2, projet sur lequel Christian Favre travaille d’arrache-pied…
Analyse des Wing Sails par Luc du Bois, acteur suisse au sein de la classe A
…une aile rigide permet de faire disparaitre complètement le problème de la tension d'écoute de grande voile (qui serait au minimum de 15 tonnes dans la brise). Cette réalité explique quasiment à elle seule le choix d'une aile rigide pour les AC72 et est probablement plus importante que les considérations de performance pure.
Pour en revenir au Class-A et au petits bateaux qui ont essayé dernièrement les ailes rigides: Moth et Class-A, aucune des ces classes n'a démontré un clair avantage avec une aile. Je pense que ça tient à plusieurs facteurs:
Comme expliqué plus haut une aile n'est pas forcément plus performante dans toute les conditions de vents par rapport à une voile souple (loin s'en faut).
Les gréements actuels sont très optimisés et les formes des voiles tant au niveau des volumes que du twist se marient parfaitement avec les caractéristiques de flexion des mâts. Avec ce que j'ai constaté des systèmes de contrôles des ailes actuelles, je ne vois pas comment on pourrait arriver à un tel niveau de précision des réglages. Sur les ailes actuelles, il n'y a pas vraiment moyen de régler le twist de la chute dynamiquement. Il n'y a qu'un "traveller". Au près c'est certainement une limitation, au portant c'est loin d'être idéal. C'est très grossier comme moyen de réglage.
En général une aile rigide sera plus lourde qu'un gréement souple. Cela n'est pas négligeable si on considère l'effet néfaste que ça a sur le pitching du bateau. Spécialement pour les petits bateaux où l'état de la mer devient proportionnellement très vite très agité (la hauteur des vagues est la même pour le genre de régates que nous faisons qu'on navigue sur un AC72 ou sur un Class-A).
La tension d'écoute qui disparait complètement est probablement un autre facteur de déstabilisation du gréement (surtout au portant). Les haubans sont les seuls éléments qui empêchent le mat de partir en avant. (On a tous remarqué l'effet qu'a un choqué d'écoute dans la brise au portant !!!!) Sur un AC72 la tension d'écoute dont je parlais est intégralement reportée dans les bastaques (rien n'est gratuit !!!!)
Un dernier facteur très théorique et sans entrer dans les détails. Quand on compare ailes (ou voiles) de tailles différentes on utilise souvent le "nombre de Reynolds". Ce chiffre à aussi une tendance à indiquer que plus une surface générant de la portance est grande, plus le concept d'une double surface est efficace par rapport à une simple surface. Par rapport à la taille de notre gréement une aile rigide n'est donc pas particulièrement intéressante.
En résumé je dirais qu'il n'est pas exclu qu'une aile rigide puisse être plus efficace sur une saison qu'un gréement souple mais personne ne l'a encore démontré et cela va demander du développement intensif (temps et argent). Toute les approches relativement simples (mais néanmoins sérieuses) n'ont rien amené de concluant pour l'instant…
L'avis de Dimitri Despierres, un des nombreux français qui a participé à la conception de l'aile rigide de BMW Oracle Racing en 2009, sur le site internet tribormat.fr.
Quel est le principe de l’aile, enfin des ailes. L’intêret par rapport à une voile classique ?.
Le principe de l’aile réside dans sa capacité à créer un coefficient de portance plus élevé que les voiles classiques, avec un contrôle sur chaque flap et donc une maitrise de la forme que l’on cherche à obtenir. Il est beaucoup plus aisé d’obtenir la forme recherchée sur les ordinateurs via une aile rigide que via des voiles classiques. Entre autre, l’aile rigide arrive à créer une portance égale à une grand-voile et une voile d’avant à partir de 7 nœuds environ. Je te laisse imaginer la simplicité d’utilisation d’une telle aile et les efforts bien moindre comparés aux voiles classiques. Rien que la tension d’écoute de grand-voile (pour une voile classique) pour obtenir le même vrillage théorique fait pâlir n’importe quel ingénieur de structure !
Est ce que tu peux nous décrire l’architecture de l’aile au niveau structure ? Les différences par rapport S&S en 1988 en dehors de la taille et les Class C et A sur lequel c’est déjà utilisé.
L’aile se compose d’un « main element » et de ses « flaps » (volets, aux nombres de 8). Le « main element » est disons la partie la plus structurelle de l’aile et peut s’apparenter à un mât même si c’est réellement un élément de l’aile à part entière. Le « main element » est composé de 3 parties ; le cone avant (partie en kevlar jaune visible sur l’avant de l’aile). C’est une partie non structurelle et qui n’est la que pour respecter le profil de l’aile définie par Joseph Ozanne. La partie noire (carbone) derrière le cone c’est le « main element main spar », en gros le mat, le vrai élément qui supporte la compression de l’aile et maintient tout le reste en flexion et torsion. C’est un vrai tunnel dans lequel pas un mais plusieurs personnes peuvent entrer et circuler dedans ! C’est un vrai ascenseur, surtout depuis qu’il n’y a même plus besoin de tourner des manivelles pour envoyer des gars en haut. Derrière cet élément viennent des panneaux horizontaux, certains appelés principaux parce qu’ils reprennent plus d’effort verticaux, d’autres appelés intermédiaires qui ne sont là quasiment que pour faire respecter la forme aérodynamique de l’aile une fois le film apposé et tendu par une opération thermique (technique utilisée pour réaliser les empennages de planeur et de certains avions).
Derrière ce « main element » viennent les 8 volets. Ils sont conçus quasiment sur le même principe si ce n’est que la partie « cone » et « spar » du volet ne font qu’un. C’est une partie structurelle qui reprend la torsion et la flexion pour chaque flap. Une « ossature » semblable à l’élément avant est fixée derrière. Ce sont de nouveau des panneaux horizontaux sur lesquels vient s’appuyer le film. Des liaisons verticales assurent la cohérence structurelle de l’ensemble mais tous ces panneaux sont d’une légèreté effarante que ce soit pour la partie avant ou les volets. Ils sont tous composés de panneau en nid d’abeille et une peau de carbone dessus-dessous. Tous ces panneaux sont bien entendu ajourés pour minimiser le poids de la structure. Comme je l’ai déjà dit, c’est bien dommage qu’on ne soit pas capable de voir cette ossature qui est magnifique. Un aperçu à une plus petite échelle de ce que nous avons fait est tout simplement extrapolable à partir de ce que l’on voit sur les class-C.
Coté différences par rapport à S&S de 88, je dirai que c’est le même concept mais avec de nouveaux matériaux, plus optimisée grâce aux moyens. C’est aussi une technologie de construction qui bénéficie de 20 ans d’expérience dans le composite depuis l’aile de David Hubbard qui a d’ailleurs repris du service chez nous pour celle-ci. Il a été de très bon conseil. La proximité de Boeing et son grand fournisseur de moules Janicki a accéléré la production et les nouveaux outils de découpe de précision nous ont permis des assemblages de qualité en un temps record compte tenu de la taille. Un vrai kit de construction cette aile !
Quels sont les réglages de l’aile ? Qu’est ce que l’on peut commander ? et comment ?; Est ce que c’est controlé par ordinateur, est ce que le moteur est indispensable.
Comment gère t’on les surventes ?
Les réglages de l’aile c’est tout d’abord l’angle entre l’élément avant et l’ensemble des volets, c’est le camber. Ensuite tu as la rotation de l’ensemble vis-à-vis de la plateforme, c’est le traveller (ou l’équivalent d’un chariot de grand-voile si tu préfères). Ce réglage fait tourner l’ensemble de l’aile par rapport a son point de pivot situé sous le « main element », c’est le pied de mat en gros. La terminologie doit être rigoureuse car tu t’aperçois vite qu’il peut y avoir une confusion chez les navigants entre chariot et écoute de grand-voile en ce qui concerne l’aile. Ici, il n’y a plus d’écoute de grand-voile !!! Ce réglage est remplacé par un vérin qui contrôle le vrillage de l’ensemble des volets. Rajoutes à ca quelques subtilités qui permettent le réglage du twist de chaque flap les uns par rapport aux autres et tu obtiens l’effet de ton écoute de grand-voile sans tension transmise à la plateforme !
L’ensemble de ces commandes excepté le chariot est commandé par hydraulique. Le chariot revient sur un winch actionné par des pompes hydrauliques via le moteur mais comme tu le sais, celui-ci n’est clairement pas indispensable. Commander l’aile via un plan de pont classique (avec colonnes de winch et pompe hydraulique rotative actionnée humainement) est totalement envisageable voire même bien plus simple que de gérer des voiles classiques ! Le contrôle peut se faire manuellement via le régleur ou via un PLC (Programmable Logic Controller). Je te laisse expliquer ce que sait. Une fois que tu as rentré des valeurs cibles de vrillage issues de tes études théoriques en fonction d’une force et d’un angle de vent ou bien du coefficient de portance que tu recherches, tu peux imaginer que l’ensemble s’auto-règle. C’est un peu comme un avion sur auto-pilot ! Rajoutes un vérin sur le chariot et on ne sera pas bien loin d’une coupe de l’America en solo ! Bientôt un mec à bord pour barrer (et encore…) et 60 mecs pour s’occuper du bateau à terre… Cherche l’erreur !
Il semble que le trimaran accélère beaucoup plus vite dans les manœuvres. Est ce que l’on peut imaginer avec ces nouvelles capacités données aux multicoques faire du match race ?
L’aile a définitivement ouvert des portes et des capacités de manœuvres accrues pour le match race en plus de son gros potentiel en ligne droite. Nous savons que nous sommes surveillés de près par Alinghi et ils savent déjà de part la trace radar qu’ils enregistrent qu’ils ne pourront rivaliser avec nous dans un domaine au moins sauf d’avoir une aile eux-mêmes. Dis toi que l’aile commence à produire de la portance quasi immédiatement à angle très faible et pour un minimum de trainée (Je ne dévoile rien)… J’imagine qu’avec tes connaissances de navigations en cata de sport tu comprendras vite la réciproque de ce genre d’application !
-
Laurent - Administrateur du site
- Messages: 895
- Inscription: 15 Avr 2012, 02:42
- Localisation: Rennes
Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Joseph Ozanne, ingénieur aéronautique, s'exprime sur V&V.com à propos de l'aile Oracle BMW dont il fut un des concepteurs
v&v.com : Combien faut-il de vent et de degrés d'incidence pour qu'une telle aile commence à créer de la portance ?
J.O. : C'est immédiat ! Les profils épais créent de la portance dès qu'ils sont mis en incidence. Et lorsque les volets sont braqués, les angles d'incidence en navigation sont très faibles. Cet avantage a son importance pour la manoeuvrabilité du bateau, qui peut tourner sur lui-même et virer ou empanner très rapidement.
Vincent Lauriot-Prévost, en compagnie de Marc Van Peteghem, a conçu BMW-Oracle Racing, le trimaran géant de Larry Ellison. Il donne ici quelques points de vue au sujet de l'aile, sur V&V.com
v&v.com : L'aile rigide est-elle beaucoup plus efficace qu'un gréement classique ?
V.L.P. : Oui, elle est beaucoup plus puissante, elle développe plus de portance, moins de traînée. A surface équivalente, le rendement est nettement amélioré ! Par ailleurs, l'aile a une autre vertu très intéressante : elle rend les virements et les empannages d'une fluidité que je ne connaissais pas encore en multi, c'est impressionnant !
v&v.com : Si elle est plus efficace, est-ce qu'elle sollicite davantage la structure du bateau ?
V.L.P. : Une aile seule engendre peu d'efforts structurels. Pour un voilier, les efforts sont surtout dépendants de la grand-voile, dont on veut tendre la chute pour lui donner une forme correcte, et des voiles d'avant, dont on veut raidir le guindant, l'un n'allant pas sans l'autre. Cela dit, pour faire rivaliser en théorie une aile avec une voile classique, il faudrait compenser la perte de surface de l'aile seule par un rendement non atteignable sans faire une aile géante. Reste que les premiers essais ont l'air encourageants sur la performance, mais aussi sur la précision du vrillage qu'on peut donner à l'aile quelle que soit la force du vent - chose impossible sur une grand-voile classique, où sa forme et son creux sont dépendants de la pression, de la tension des lattes, de l'orientation des renforts, un casse-tête ! J'ajoute que la structure de l'aile a été conçue, comme la structure de la plate-forme, par nos fidèles ingénieurs de Brest menés par Hervé Devaux, et ce n'était pas de la tarte de partir dans l'inconnu en si peu de temps sur une pièce aussi grande !
v&v.com : L'aile rigide a-t-elle un impact sur le moment de redressement du trimaran ?
V.L.P. : Non, car ce moment de redressement est fonction du poids et de la largeur du bateau. Si le poids de l'aile est similaire à celui d'un gréement classique avec mât, bôme, étais et garde-robe de voiles d'avant, cela ne change rien. Et les deux gréements sont alors interchangeables. Ce qui semble être le cas...
v&v.com : Combien faut-il de vent et de degrés d'incidence pour qu'une telle aile commence à créer de la portance ?
J.O. : C'est immédiat ! Les profils épais créent de la portance dès qu'ils sont mis en incidence. Et lorsque les volets sont braqués, les angles d'incidence en navigation sont très faibles. Cet avantage a son importance pour la manoeuvrabilité du bateau, qui peut tourner sur lui-même et virer ou empanner très rapidement.
Vincent Lauriot-Prévost, en compagnie de Marc Van Peteghem, a conçu BMW-Oracle Racing, le trimaran géant de Larry Ellison. Il donne ici quelques points de vue au sujet de l'aile, sur V&V.com
v&v.com : L'aile rigide est-elle beaucoup plus efficace qu'un gréement classique ?
V.L.P. : Oui, elle est beaucoup plus puissante, elle développe plus de portance, moins de traînée. A surface équivalente, le rendement est nettement amélioré ! Par ailleurs, l'aile a une autre vertu très intéressante : elle rend les virements et les empannages d'une fluidité que je ne connaissais pas encore en multi, c'est impressionnant !
v&v.com : Si elle est plus efficace, est-ce qu'elle sollicite davantage la structure du bateau ?
V.L.P. : Une aile seule engendre peu d'efforts structurels. Pour un voilier, les efforts sont surtout dépendants de la grand-voile, dont on veut tendre la chute pour lui donner une forme correcte, et des voiles d'avant, dont on veut raidir le guindant, l'un n'allant pas sans l'autre. Cela dit, pour faire rivaliser en théorie une aile avec une voile classique, il faudrait compenser la perte de surface de l'aile seule par un rendement non atteignable sans faire une aile géante. Reste que les premiers essais ont l'air encourageants sur la performance, mais aussi sur la précision du vrillage qu'on peut donner à l'aile quelle que soit la force du vent - chose impossible sur une grand-voile classique, où sa forme et son creux sont dépendants de la pression, de la tension des lattes, de l'orientation des renforts, un casse-tête ! J'ajoute que la structure de l'aile a été conçue, comme la structure de la plate-forme, par nos fidèles ingénieurs de Brest menés par Hervé Devaux, et ce n'était pas de la tarte de partir dans l'inconnu en si peu de temps sur une pièce aussi grande !
v&v.com : L'aile rigide a-t-elle un impact sur le moment de redressement du trimaran ?
V.L.P. : Non, car ce moment de redressement est fonction du poids et de la largeur du bateau. Si le poids de l'aile est similaire à celui d'un gréement classique avec mât, bôme, étais et garde-robe de voiles d'avant, cela ne change rien. Et les deux gréements sont alors interchangeables. Ce qui semble être le cas...
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Salut Laurent,
Dans mon métier d'éditeur, la difficulté est d'éditer des gens qui ont étudié une question, c'est-à-dire qu'ils ont fait des études empiriques sur un sujet : des enquêtes, des mesures, ensuite ils proposent des arguments qui tentent d'expliquer ces mesures.
Pour ces questions de voile épaisse, il en est de même. J'ai toujours du mal à écouter les gens qui commentent avec des arguments très arrêtés sans avoir pratiqué ni étudié. Dans ces cas-là, on est dans le registre “discussions de comptoir” qui peuvent être très sympathiques, mais qui n'apportent rien d'essentiel.
Dans les réflexions que tu retranscris, il y a les deux : des gens qui ont pratiqué et étudié la question, et des gens qui expriment seulement leur opinion et leurs doutes. Et pour moi, ça n'a pas la même fiabilité, même si les opinions sont toujours intéressantes à écouter.
Sur l'efficacité de la voile épaisse, tous ceux qui l'ont pratiquée (ou conçue) sont unanimes sur 3 points :
- l'augmentation de portance
- la diminution de traînée
- la facilité des manœuvre (à cause de la “finesse” de l'aile).
La manche de l'America courue entre Oracle et Alinghi est impressionnante sur le premier point, on voit le différentiel de distance s'afficher en temps réel sur la vidéo.
C'est peut-être pour cette raison quand-même qu'on ne voit plus du tout d'avions entoilés.
La difficulté pour nous, simples mortels, c'est que les professionnels donnent rarement des données chiffrées. Alors on suppute !
Pour ceux qui se souviennent, vous vous souvenez peut-être des gens qui affirmaient que jamais un multicoque ne serait plus rapide qu'un monocoque dans une transat, que le multi n'avait qu'un avantage en vitesse pure sur eau plate.
Clt
Alain
Dans mon métier d'éditeur, la difficulté est d'éditer des gens qui ont étudié une question, c'est-à-dire qu'ils ont fait des études empiriques sur un sujet : des enquêtes, des mesures, ensuite ils proposent des arguments qui tentent d'expliquer ces mesures.
Pour ces questions de voile épaisse, il en est de même. J'ai toujours du mal à écouter les gens qui commentent avec des arguments très arrêtés sans avoir pratiqué ni étudié. Dans ces cas-là, on est dans le registre “discussions de comptoir” qui peuvent être très sympathiques, mais qui n'apportent rien d'essentiel.
Dans les réflexions que tu retranscris, il y a les deux : des gens qui ont pratiqué et étudié la question, et des gens qui expriment seulement leur opinion et leurs doutes. Et pour moi, ça n'a pas la même fiabilité, même si les opinions sont toujours intéressantes à écouter.
Sur l'efficacité de la voile épaisse, tous ceux qui l'ont pratiquée (ou conçue) sont unanimes sur 3 points :
- l'augmentation de portance
- la diminution de traînée
- la facilité des manœuvre (à cause de la “finesse” de l'aile).
La manche de l'America courue entre Oracle et Alinghi est impressionnante sur le premier point, on voit le différentiel de distance s'afficher en temps réel sur la vidéo.
C'est peut-être pour cette raison quand-même qu'on ne voit plus du tout d'avions entoilés.
La difficulté pour nous, simples mortels, c'est que les professionnels donnent rarement des données chiffrées. Alors on suppute !
Pour ceux qui se souviennent, vous vous souvenez peut-être des gens qui affirmaient que jamais un multicoque ne serait plus rapide qu'un monocoque dans une transat, que le multi n'avait qu'un avantage en vitesse pure sur eau plate.
Clt
Alain
- Alain Oriot
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Salut Alain,
je suis totalement d'accord.
Tu remarqueras, ceci-dit, qu'il n'y a qu'un avis très mitigé, sur l'ensemble.
Globalement, les concepteurs, les coureurs sont emballés.
je pense que l'aile n'est peut être pas si intéressante que cela sur des embarcations comme le Moth, où la voile est à fourreau et cambers. C'est une voilure très performante, tout comme celle qui équipe les planches.
Pour réaliser ce fil, j'ai consulté un bon paquet de pages internet.
Il est clair qu'on y retrouve toujours le même retour d"expérience.
Du coup, je n'ai retenu que les plus importants.
Ce sont donc la très grande réactivité de l'aile ainsi que les virement de bords, désormais rapides, qui impressionnent ceux qui découvrent l'aile rigide sur catamaran.
Cette recherche, ainsi que votre participation récente au forum, m'ont convaincu de la très grande pertinence d'une aile à deux volets symétriques et à effet de fente.
Si, pour la course, l'augmentation de portance, ainsi que les virements de bord améliorés, sont des atouts importants, il le sont moins à mon goût pour la croisière, bien qu'on ne peut que s'en féliciter.
La diminution de trainée, ainsi que la structure d'une aile, apporte beaucoup de points positifs qui me semblent rendre l'aile vraiment une amélioration pour la croisière.
-du fait d'un bien meilleur écoulement laminaire, la peau extérieure (film ou tissu) est mieux (moins) sollicitées.
- l'aile est une voilure légèrement compensée : virement plus doux, surtout pour l'empannage. j'imagine que l'amélioration, sur le plan de la vitesse, du virement lof pour lof sur multi, doit également profiter aux monos.
-meilleure répartition des efforts. Écoute un seul brin.
Il n'y aurait donc plus cette sensation de violence qu'on perçoit tout de suite sur un gréement Marconi.
Tout se ferait avec plus de souplesse, d'équilibre, malgré une réactivité importante.
Que demander de mieux pour la croisière ?
***
Un autre point est évident :
Les ailes vont sans doute évoluer assez rapidement puisque le monde de la course à gros budget s'en est emparée.
je suis totalement d'accord.
Tu remarqueras, ceci-dit, qu'il n'y a qu'un avis très mitigé, sur l'ensemble.
Globalement, les concepteurs, les coureurs sont emballés.
je pense que l'aile n'est peut être pas si intéressante que cela sur des embarcations comme le Moth, où la voile est à fourreau et cambers. C'est une voilure très performante, tout comme celle qui équipe les planches.
Pour réaliser ce fil, j'ai consulté un bon paquet de pages internet.
Il est clair qu'on y retrouve toujours le même retour d"expérience.
Du coup, je n'ai retenu que les plus importants.
Ce sont donc la très grande réactivité de l'aile ainsi que les virement de bords, désormais rapides, qui impressionnent ceux qui découvrent l'aile rigide sur catamaran.
Cette recherche, ainsi que votre participation récente au forum, m'ont convaincu de la très grande pertinence d'une aile à deux volets symétriques et à effet de fente.
Si, pour la course, l'augmentation de portance, ainsi que les virements de bord améliorés, sont des atouts importants, il le sont moins à mon goût pour la croisière, bien qu'on ne peut que s'en féliciter.
La diminution de trainée, ainsi que la structure d'une aile, apporte beaucoup de points positifs qui me semblent rendre l'aile vraiment une amélioration pour la croisière.
-du fait d'un bien meilleur écoulement laminaire, la peau extérieure (film ou tissu) est mieux (moins) sollicitées.
- l'aile est une voilure légèrement compensée : virement plus doux, surtout pour l'empannage. j'imagine que l'amélioration, sur le plan de la vitesse, du virement lof pour lof sur multi, doit également profiter aux monos.
-meilleure répartition des efforts. Écoute un seul brin.
Il n'y aurait donc plus cette sensation de violence qu'on perçoit tout de suite sur un gréement Marconi.
Tout se ferait avec plus de souplesse, d'équilibre, malgré une réactivité importante.
Que demander de mieux pour la croisière ?
***
Un autre point est évident :
Les ailes vont sans doute évoluer assez rapidement puisque le monde de la course à gros budget s'en est emparée.
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Ce qui m'étonne toujours, c'est notre inertie dans l'innovation.
Certes, les ailes épaisses sont possibles grâce à de meilleurs moyens pour calculer les efforts (par éléments finis), à de meilleurs matériaux (carbone), à la course qui permet de tester les solutions les plus fiables…
Mais, rien n'empêchait de faire depuis des lustres (depuis qu'on maîtrise les collages du bois) ce qu'ont fait les concepteurs de Yellow Page Endeavour, avec leur aile simple qui ressemble à une aile d'avion de tourisme, en contreplaqué (il me semble) et entoilée.
Il a fallu un grand show médiatique, la dernière coupe de l'America, pour qu'on découvre le bien-fondé de l'aile qui est utilisée depuis Miss Nylex, en 1972, dans la petite coupe de l'America (avec son aile en losange, en contre-plaqué équipée de deux volets de fuite).
L'adaptation aux multicoques de course transocéanique va sans doute prendre du temps et pour la croisière encore plus, avec l'impératif d'ariser la voilure. Mais la lenteur de la généralisation des ailes épaisses semble plus relever de l'inertie conceptuelle que de réelles difficultés techniques.
Alain
Certes, les ailes épaisses sont possibles grâce à de meilleurs moyens pour calculer les efforts (par éléments finis), à de meilleurs matériaux (carbone), à la course qui permet de tester les solutions les plus fiables…
Mais, rien n'empêchait de faire depuis des lustres (depuis qu'on maîtrise les collages du bois) ce qu'ont fait les concepteurs de Yellow Page Endeavour, avec leur aile simple qui ressemble à une aile d'avion de tourisme, en contreplaqué (il me semble) et entoilée.
Il a fallu un grand show médiatique, la dernière coupe de l'America, pour qu'on découvre le bien-fondé de l'aile qui est utilisée depuis Miss Nylex, en 1972, dans la petite coupe de l'America (avec son aile en losange, en contre-plaqué équipée de deux volets de fuite).
L'adaptation aux multicoques de course transocéanique va sans doute prendre du temps et pour la croisière encore plus, avec l'impératif d'ariser la voilure. Mais la lenteur de la généralisation des ailes épaisses semble plus relever de l'inertie conceptuelle que de réelles difficultés techniques.
Alain
- Alain Oriot
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- Inscription: 04 Nov 2012, 16:20
Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Proposition
Ton site, Laurent, m'amène à faire une proposition aux lecteurs qui le fréquentent sur le mode du logiciel libre.
Nous sommes quelques-uns à penser à un projet de voile épaisse à volet qu'on peut ariser pour la croisière. Certains, dont les exemples sont présentés sur ce site, ont testé des solutions (Matin Bleu, Grand Pha, etc.). Ne serait-il pas possible de regrouper nos efforts en mobilisant aussi des ingénieurs et des spécialistes de la mécanique des fluides pour concevoir une voile épaisse pour la croisière ?
Alain
Ton site, Laurent, m'amène à faire une proposition aux lecteurs qui le fréquentent sur le mode du logiciel libre.
Nous sommes quelques-uns à penser à un projet de voile épaisse à volet qu'on peut ariser pour la croisière. Certains, dont les exemples sont présentés sur ce site, ont testé des solutions (Matin Bleu, Grand Pha, etc.). Ne serait-il pas possible de regrouper nos efforts en mobilisant aussi des ingénieurs et des spécialistes de la mécanique des fluides pour concevoir une voile épaisse pour la croisière ?
Alain
- Alain Oriot
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- Inscription: 04 Nov 2012, 16:20
Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
.
Tout d'abord une suite à ce que tu disais auparavant :
Le monde de la voile peut se montrer très à la pointe - suffit de voir l'évolution, ne serait ce que des 60 pieds IMOCA - ou très conservateur, je pense par exemple à l'ancre CQR apparue dans la première moitié du 20ème siècle, une très bonne ancre que bon nombre de plaisanciers continuent de considérer comme la meilleure ancre, alors qu'on a fait quand même beaucoup mieux depuis.
Ce qui me surprend aussi, c'est que les quelques doux fêlés, souvent électrons libre, n'aient pas pensé en effet, à s'inspirer de ce qui venait d'avoir lieu dans la classe C, dés la deuxième moitié des années 70
Au lieu de cela, la plupart se sont évertués à concevoir des profils épais à volet unique avec des systèmes de modification de cambrure, souvent trop compliqués et surtout peu opérationnels. Sans parler des projets qui n'ont pas abouti, mais cela, c'est une autre histoire…
le profil épais unique, cambré, apparaissait comme le nirvana à atteindre alors qu'il fallait être moins ambitieux d'un point de vue conceptuel, dans un premier temps.
D'autres déclinaisons, comme l'aile Gallant, était/sont beaucoup trop rudimentaires. Et ne connaitront qu'un avenir très anecdotique (voir un passé…)
Le chantier Wally devait sortir des unités à voile épaisse de type Omer Wingsail, mais l'effet d'annonce remonte à deux ans. Rien de nouveau depuis. Je serais curieux d'ailleurs, de connaitre les chiffres de vente du fabricant Omer.
L'aile rigide va sans doute se propager assez rapidement sur les voiliers de compétition, avec l'impulsion de l'América Cup.
Pour l'aile souple et le voilier lambda, cela devrait prendre beaucoup plus de temps.
M'est avis que cela pourrait aller plus vite du coté de nos amis anglo-saxons.
je m'avance déjà trop vite à vouloir écrire une histoire qui n'a pas encore eu lieu.
Elle pourrait réserver des surprises.
* * * *
Pour ce qui est de regrouper des compétences pour la création d'une aile dédiée croisière, j'en serais extrêmement ravi.
Si l'on doit attendre que l'aile se démocratise par le biais des grands chantiers de série, on pourrait attendre longtemps. L'impulsion peut venir de quelques individus très motivés.
Le nombre de plaisanciers souhaitant fabriquer leur propre voilure sera toujours infinitésimale.
On peut considérer qu'on mettrait à disposition les plans d'une aile-type que tout individus pourraient faire fabriquer par quoi d'ailleurs ? une collaboration voilerie/chantier composite.
-
Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
D'autres part, il faudrait se mettre d'accord sur quelques choix très importants, dés le début.
Exemple : la sélection du matériau.
À lui tout seul, il conditionne toute la structure.
Pour continuer sur cet exemple et donner mon opinion, il vaudrait mieux opter pour du sandwich mousse/verre, afin de rester dans des prix abordables.
* * * *
La création de ce forum, c'étaient de toute manière une main tendue pour fédérer des savoirs.
Resterait plus qu'à attirer quelques passionnées.
* * * *
Comme je ne me sens pas spécialement propriétaire du terme, on pourrait appeler ce projet, le projet Aladis.
À condition que le mot plaise à tous…
(je rappelle qu'Aladis provient de la formule : à la dis-position de tous)
* * * *
je pourrais très facilement créer une rubrique dédié à ce projet, sur ce forum.
Un lieu de partage facile d'accès.
* * * *
Comme vous pouvez le remarquer, je m'emballe facilement…
Exemple : la sélection du matériau.
À lui tout seul, il conditionne toute la structure.
Pour continuer sur cet exemple et donner mon opinion, il vaudrait mieux opter pour du sandwich mousse/verre, afin de rester dans des prix abordables.
* * * *
La création de ce forum, c'étaient de toute manière une main tendue pour fédérer des savoirs.
Resterait plus qu'à attirer quelques passionnées.
* * * *
Comme je ne me sens pas spécialement propriétaire du terme, on pourrait appeler ce projet, le projet Aladis.
À condition que le mot plaise à tous…
(je rappelle qu'Aladis provient de la formule : à la dis-position de tous)
* * * *
je pourrais très facilement créer une rubrique dédié à ce projet, sur ce forum.
Un lieu de partage facile d'accès.
* * * *
Comme vous pouvez le remarquer, je m'emballe facilement…
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Personnellement, je suis partant, d'autant que nous avons déjà commencé, avec Yvan, à tester une aile pour notre projet.
Et d'accord pour ALADIS !!!
En attendant que tu crées un fil de discussion spécfique sur ton beau site.
Cordialement,
Alain
Et d'accord pour ALADIS !!!
En attendant que tu crées un fil de discussion spécfique sur ton beau site.
Cordialement,
Alain
- Alain Oriot
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- Inscription: 04 Nov 2012, 16:20
Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Juste une remarque à propos du matériau avant que tu ne démarres une nouvelle rubrique.
Tout dépend de comment travaillent les pièces.
Si l'on exclut le carbone à cause de son coût, pour toutes les pièces travaillant en raideur, le bois, à poids égal, est imbattable par rapport aux stratifiés de fibres (verre, kevlar), en revanche pour les pièces travaillant en flexion les stratifiés sont meilleurs. Donc je ne sais pas si l'on doit commencer par définir le matériau vu que dans une aile, certaines pièces travaillent en raideur et d'autres en flexion.
Cette question n'est pas anodine quand on envisage, par exemple, une aile portée par un mât qui travaille en colonne, donc en raideur, (avec un haubanage, comme celui du Pi28) ou une aile dont le mât travaille en flexion comme les mâts de ton Freedom.
Alain
Tout dépend de comment travaillent les pièces.
Si l'on exclut le carbone à cause de son coût, pour toutes les pièces travaillant en raideur, le bois, à poids égal, est imbattable par rapport aux stratifiés de fibres (verre, kevlar), en revanche pour les pièces travaillant en flexion les stratifiés sont meilleurs. Donc je ne sais pas si l'on doit commencer par définir le matériau vu que dans une aile, certaines pièces travaillent en raideur et d'autres en flexion.
Cette question n'est pas anodine quand on envisage, par exemple, une aile portée par un mât qui travaille en colonne, donc en raideur, (avec un haubanage, comme celui du Pi28) ou une aile dont le mât travaille en flexion comme les mâts de ton Freedom.
Alain
- Alain Oriot
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- Inscription: 04 Nov 2012, 16:20
Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Deux autres points de vue :
Ceux trouvés sur un PDF de présentation du foiler Mirabaud LX
Aile rigide et voiles souples: les différences.
Une aile rigide possède un coefficient de portance supérieur aux voiles souples, car elle est profilée alors que les voiles souples sont des surfaces simples. Pour y parvenir, l’aile rigide présente trois caractéristiques principales:
• une traînée deux fois moins importante (due à son profil),
• une maîtrise précise de sa forme, en particulier de sa cambrure par le contrôle de son (ses) volet(s),
• une portance efficace même à des angles très faibles (due à sa rigidité). Par rapport à un jeu de voiles souples, une aile rigide offre un gain de portance de 50% à 100%. Sur le maxi-trimaran de la 33e America’s Cup, les évaluations du bureau de design HDS – Conception, Calcul et Etude de structures, impliqué dans la conception du BOR90 et de son gréement-aile, tablaient sur un coefficient de portance de 2,5 pour une aile rigide, contre 1,2 pour un gréement traditionnel.
Par sa rigidité et son profil, un gréement-aile présente aussi quelques inconvénients:
• il requiert une vitesse minimale pour déployer ses avantages (variable selon
la taille et le déplacement du bateau),
• sa surface établie n’est pas modifiable, alors que les voiles souples peuvent
être réduites,
• il nécessite un lieu de stockage (remorque, hangar), alors que les voiles souples
se roulent ou se plient.
* * * *
«L’avantage principal de l’aile, explique Thomas Jundt, c’est qu’elle a deux fois plus de finesse que des voiles souples et présente donc une traînée aérodynamique deux fois plus faible. au près, on observe un meilleur cap, et au portant, le gain est encore plus important dès qu’on vole». mais, perfectionnistes, ils lui trouvent déjà des défauts: «Le bord d’attaque est un peu trop fin et se voile. Le volet arrière est trop souple, il faudra le renforcer.»
"il requiert une vitesse minimale pour déployer ses avantages"
Deux remarques identiques sur ce fil.
Voilà qui va finir par interpeller, non ?
Ceux trouvés sur un PDF de présentation du foiler Mirabaud LX
Aile rigide et voiles souples: les différences.
Une aile rigide possède un coefficient de portance supérieur aux voiles souples, car elle est profilée alors que les voiles souples sont des surfaces simples. Pour y parvenir, l’aile rigide présente trois caractéristiques principales:
• une traînée deux fois moins importante (due à son profil),
• une maîtrise précise de sa forme, en particulier de sa cambrure par le contrôle de son (ses) volet(s),
• une portance efficace même à des angles très faibles (due à sa rigidité). Par rapport à un jeu de voiles souples, une aile rigide offre un gain de portance de 50% à 100%. Sur le maxi-trimaran de la 33e America’s Cup, les évaluations du bureau de design HDS – Conception, Calcul et Etude de structures, impliqué dans la conception du BOR90 et de son gréement-aile, tablaient sur un coefficient de portance de 2,5 pour une aile rigide, contre 1,2 pour un gréement traditionnel.
Par sa rigidité et son profil, un gréement-aile présente aussi quelques inconvénients:
• il requiert une vitesse minimale pour déployer ses avantages (variable selon
la taille et le déplacement du bateau),
• sa surface établie n’est pas modifiable, alors que les voiles souples peuvent
être réduites,
• il nécessite un lieu de stockage (remorque, hangar), alors que les voiles souples
se roulent ou se plient.
* * * *
«L’avantage principal de l’aile, explique Thomas Jundt, c’est qu’elle a deux fois plus de finesse que des voiles souples et présente donc une traînée aérodynamique deux fois plus faible. au près, on observe un meilleur cap, et au portant, le gain est encore plus important dès qu’on vole». mais, perfectionnistes, ils lui trouvent déjà des défauts: «Le bord d’attaque est un peu trop fin et se voile. Le volet arrière est trop souple, il faudra le renforcer.»
"il requiert une vitesse minimale pour déployer ses avantages"
Deux remarques identiques sur ce fil.
Voilà qui va finir par interpeller, non ?
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
En vrac
L'avis d'Alain Thébault concernant son futur hydroptère à aile rigide :
«Ce sera un bateau plus polyvalent avec une aile rigide du type de celle qui équipait le multicoque d'Oracle vainqueur de la Coupe de l America en 2010 contre Alinghi. Nous aurons donc une aile dans l'eau et une aile dans l'air souligne Thébault. Le rendement est incomparable par petit temps. On a vu qu'Oracle filait à une allure trois fois supérieure à la vitesse du vent. L'aile rigide permet aussi de décoller avec 8 9 nœuds de vent. Aujourd'hui on a acquis une grosse expérience pour faire voler le bateau. Nous disposons d'un simulateur de vol qui mesure les mouvements de l'eau. Il a été développé pendant ses heures de loisirs par Philippe Perrier directeur des programmes Rafale chez Dassault Aviation à Saint Cloud."
* * * *
Quelques mots de Loick Peyron via une interview d'ailleurs très intéressante relatant son point de vue de l'America's Cup.
America's Cup. Loïck Peyron : "Il fallait y être"
Et l’aile est la solution miracle ?
- "L’aile change tout cela parce qu’avec elle, les bateaux ne s’arrêtent plus. Ils manœuvrent vite et bien. Mieux, ils peuvent monter dans le vent à des angles ahurissants. De surcroît, c’est un outil de haute technologie, très élitiste, très spectaculaire. Il anime la vie dans les "stands" le soir et le matin, lorsqu’il faut l’enlever et la remettre sur la plateforme. Cela donne lieu à un véritable show, un ballet magnifique."
L'avis d'Alain Thébault concernant son futur hydroptère à aile rigide :
«Ce sera un bateau plus polyvalent avec une aile rigide du type de celle qui équipait le multicoque d'Oracle vainqueur de la Coupe de l America en 2010 contre Alinghi. Nous aurons donc une aile dans l'eau et une aile dans l'air souligne Thébault. Le rendement est incomparable par petit temps. On a vu qu'Oracle filait à une allure trois fois supérieure à la vitesse du vent. L'aile rigide permet aussi de décoller avec 8 9 nœuds de vent. Aujourd'hui on a acquis une grosse expérience pour faire voler le bateau. Nous disposons d'un simulateur de vol qui mesure les mouvements de l'eau. Il a été développé pendant ses heures de loisirs par Philippe Perrier directeur des programmes Rafale chez Dassault Aviation à Saint Cloud."
* * * *
Quelques mots de Loick Peyron via une interview d'ailleurs très intéressante relatant son point de vue de l'America's Cup.
America's Cup. Loïck Peyron : "Il fallait y être"
Et l’aile est la solution miracle ?
- "L’aile change tout cela parce qu’avec elle, les bateaux ne s’arrêtent plus. Ils manœuvrent vite et bien. Mieux, ils peuvent monter dans le vent à des angles ahurissants. De surcroît, c’est un outil de haute technologie, très élitiste, très spectaculaire. Il anime la vie dans les "stands" le soir et le matin, lorsqu’il faut l’enlever et la remettre sur la plateforme. Cela donne lieu à un véritable show, un ballet magnifique."
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
“il requiert une vitesse minimale pour déployer ses avantages"
Deux remarques identiques sur ce fil.
Voilà qui va finir par interpeller, non ?
Ça s'explique assez bien. Tant qu'on reste dans un fluide très lent, on reste dans un écoulement laminaire (comme une cuiller qu'on touille dans un pot de miel). Dans ce cas, la forme de l'aile importe peu pourvu qu'elle ait une forme convexe qui développe une portance. [On voit bien le changement de régime laminaire à turbulent quand on fait couler un robinet sur une plaque lisse.] Les voiles simples sont presque aussi efficaces que les voiles épaisses, mais il faut que la vitesse du fluide soit très faible.
Alain
Deux remarques identiques sur ce fil.
Voilà qui va finir par interpeller, non ?
Ça s'explique assez bien. Tant qu'on reste dans un fluide très lent, on reste dans un écoulement laminaire (comme une cuiller qu'on touille dans un pot de miel). Dans ce cas, la forme de l'aile importe peu pourvu qu'elle ait une forme convexe qui développe une portance. [On voit bien le changement de régime laminaire à turbulent quand on fait couler un robinet sur une plaque lisse.] Les voiles simples sont presque aussi efficaces que les voiles épaisses, mais il faut que la vitesse du fluide soit très faible.
Alain
- Alain Oriot
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Prenons le cas de mon monocoque à déplacement moyen voir un peu lourd, dont la vitesse moyenne se situe autour de 6 noeuds.
Supposons qu'il soit équipé de deux ailes, chacune à deux volets épais.
Si j'arrive à le faire avancer aussi vite et remonter aussi bien qu'avec un gréement Marconi,
je m'estimerais très satisfait car les autres avantages de l'aile la rendront alors nettement supérieures…
Supposons qu'il soit équipé de deux ailes, chacune à deux volets épais.
Si j'arrive à le faire avancer aussi vite et remonter aussi bien qu'avec un gréement Marconi,
je m'estimerais très satisfait car les autres avantages de l'aile la rendront alors nettement supérieures…
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
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L'extrait d'une interview de Franck Cammas par V&V.
Franck Cammas est pilote d'essai pour les débuts de l'AC72 italien Luna Rossa (novembre/décembre 2012).
v&v.com : Quelles sont les sensations à la barre ?
Franck C. : Pour l’instant, elle a pas mal de friction. Mais c’est un bateau qui réagit très vite. Il est très raide. Je n’ai jamais navigué sur un bateau aussi raide en distorsion de plateforme. Du coup, le moindre mouvement de barre se répercute vraiment instantanément. Pareil, la moindre risée n’est pas absorbée par la souplesse de la plateforme. Tout est très nerveux. Mais en même temps, tout est contrôlable. Il n’y a pas d’éléments parasites. Tout fonctionne avec des angles qui ne changent pas. Le fait d’avoir une aile, par rapport à une voile souple, donne également plus de stabilité dans la puissance aéro et dans le contrôle de l’aile. Elle ne bouge pas par rapport à ce qu’on a voulu lui donner comme cambrure ou comme twist, contrairement à une voile souple. C’est presque plus impressionnant de voir le bateau naviguer de l’extérieur que depuis l’intérieur parce que tu as l’impression que tout se contrôle bien. Même dans l’abattée, par 14 nœuds lors de cette première sortie, le bateau n’a pas changé d’assiette en abattant. C’est plutôt une bonne surprise. On se sent en sécurité.
v&v.com : Tu avais déjà navigué avec une aile sur un autre bateau ?
Franck C. : Une seule fois avec Oracle sur un petit Classe A. Ce n’était pas du tout la même taille. On ne peut pas dire que j’ai vraiment navigué avec une aile. Mais c’est assez facile. On peut vraiment jouer avec le plan de voilure. On peut lui donner une cambrure inverse, ce qui n’est pas possible avec une voile. L’aile ne fasseye pas. On peut lui donner une puissance négative à partir d’une certaine hauteur. On peut faire beaucoup plus de choses, c’est beaucoup plus stables. On peut rechercher des formes différentes par rapport à une voile souple.
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L'extrait d'une interview de Franck Cammas par V&V.
Franck Cammas est pilote d'essai pour les débuts de l'AC72 italien Luna Rossa (novembre/décembre 2012).
v&v.com : Quelles sont les sensations à la barre ?
Franck C. : Pour l’instant, elle a pas mal de friction. Mais c’est un bateau qui réagit très vite. Il est très raide. Je n’ai jamais navigué sur un bateau aussi raide en distorsion de plateforme. Du coup, le moindre mouvement de barre se répercute vraiment instantanément. Pareil, la moindre risée n’est pas absorbée par la souplesse de la plateforme. Tout est très nerveux. Mais en même temps, tout est contrôlable. Il n’y a pas d’éléments parasites. Tout fonctionne avec des angles qui ne changent pas. Le fait d’avoir une aile, par rapport à une voile souple, donne également plus de stabilité dans la puissance aéro et dans le contrôle de l’aile. Elle ne bouge pas par rapport à ce qu’on a voulu lui donner comme cambrure ou comme twist, contrairement à une voile souple. C’est presque plus impressionnant de voir le bateau naviguer de l’extérieur que depuis l’intérieur parce que tu as l’impression que tout se contrôle bien. Même dans l’abattée, par 14 nœuds lors de cette première sortie, le bateau n’a pas changé d’assiette en abattant. C’est plutôt une bonne surprise. On se sent en sécurité.
v&v.com : Tu avais déjà navigué avec une aile sur un autre bateau ?
Franck C. : Une seule fois avec Oracle sur un petit Classe A. Ce n’était pas du tout la même taille. On ne peut pas dire que j’ai vraiment navigué avec une aile. Mais c’est assez facile. On peut vraiment jouer avec le plan de voilure. On peut lui donner une cambrure inverse, ce qui n’est pas possible avec une voile. L’aile ne fasseye pas. On peut lui donner une puissance négative à partir d’une certaine hauteur. On peut faire beaucoup plus de choses, c’est beaucoup plus stables. On peut rechercher des formes différentes par rapport à une voile souple.
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Juillet 2013.
Sur Voiles et Voiliers / Web, les français Dimitri Despierres et Joseph Ozanne expriment leur points de vue sur les ailes rigides des AC72 en lice pour la coupe America.
Tout deux étant impliqués chez Oracle dans la conception des ailes.
voilesetvoiliers.com : Qu'est-ce que les ingénieurs aéro, architectes et concepteurs des différentes équipes ont cherché avec leur aile ?
Dimitri Despierres : A aller plus vite que la concurrence ! Pour bien comprendre tout ça, il faut revenir aux bases. Il y a deux aspects à considérer pour une aile : l’un aérodynamique, l’autre structurel, le lien entre les deux – fondamental !– étant le système de contrôle de l’aile. C’est à dire la maîtrise des formes aérodynamiques. Pour cela, les ingénieurs et les navigants ont des cibles («targets», en anglais) : ce sont des formes données pour des conditions de force et d’angle de vent données. Cela dit, il faut aussi se préoccuper aussi de ce qui est «hors-cible» (nous disons «off-target») : ce sont les formes particulières recherchées pendant les transitions – virement, empannage, passage de marque, situation tactique particulière… Ces trois éléments – aérodynamisme, structure et contrôle de l’aile – sont à la base de tout.
v&v.com : Justement, qu’est-ce qui prime dans la conception d’une aile : la recherche d’une vitesse de pointe élevée ou la rapidité de mise en œuvre du profil, notamment lors des transitions (virement, empannage...) ?
D.D. : Eh bien, toutes les équipes n’ont pas fait les mêmes choix. Les Néo-Zeds ont ainsi imaginé un système qui leur permet de pouvoir cambrer le bas de l’aile très tôt – lors des empannages, par exemple –, via un vérin double action. L’avantage est bien entendu d’être cambré le plus tôt possible pour créer le moment de redressement voulu et continuer de voler. L’inconvénient est que ceci ne se fait pas tout seul : il faut que l’équipage intervienne, voire anticipe davantage les choses pour pouvoir profiter de cette fonction – sans compter la friction ajoutée par ce système… Et s’il est vrai que le format des régates va donner une certaine importance aux différentes manœuvres, la puissance à bord est de toute façon limitée par le nombre d’équipiers actionnant les manivelles.
v&v.com : Finalement, vu la jauge, le cahier des charges et le plan d’eau, pourquoi les ailes d’Oracle, ETNZ-Luna Rossa et Artemis sont-elles aussi différentes ?
D.D. : Pour commencer, c’est la première fois qu’on applique ces règles, qu’on se frotte à cette jauge ! Il est donc normal que les approches aient été quelque peu différentes. Et puis, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas les inventeurs des ailes sur un bateau. Différents concepts ont été testés, les catas de Classe C, les engins de records comme Yellow Pages Endeavour, le cata Stars & Stripes lors de l’America’s Cup 1988 – et j’en passe. Tous ces bateaux avaient des problématiques différentes. La nôtre, c’est d’aller le plus vite possible entre des bouées avec des bords de près, de portant et de travers, mais c’est aussi – et surtout – gérer la surpuissance ! Par 12 nœuds de vent, les AC72 entrent en surpuissance. Et on veut qu’ils naviguent toujours par 25 nœuds de brise sans avoir changé de surface de «grand-voile» – pas évident !
Joseph Ozanne : Pour ma part, et au risque de te décevoir, je dirais que les ailes ne sont pas si différentes entre elles. Il y a deux aspects à bien distinguer sur le fonctionnement d’une aile : l’aspect tridimensionnel (y compris son intégration sur la plate-forme et sa contribution à l’équilibre général) et l’aspect bidimensionnel (la forme de ses sections, le nombre ou la taille de ses volets…). Le principal objectif, comme sur n’importe quel autre voilier, c’est d’obtenir une traînée minimale pour un point de fonctionnement donné. Avec les AC72, parler d’ailes plus ou moins «puissantes» n’est pas pertinent : on ne navigue quasiment jamais à puissance max ! Avec un AC72, le jeu – comme avec pas mal de voiliers «classiques», d’ailleurs –, c’est de maîtriser l’art du «depower» : diminuer la puissance en minimisant la traînée. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’aspect tridimensionnel – la répartition verticale du chargement aéro – régule près de 90% de la traînée totale de l’aile. Donc, toute question relative à la forme des sections et/ou à la topologie de l’aile (le nombre d’éléments verticaux, la proportion des volets) est secondaire quant à la performance relative des différentes ailes.
v&v.com : Tu veux dire que le point vraiment critique, c’est de pouvoir gérer de manière optimale la répartition verticale du chargement aéro ?
J.O. : C’est ça. Le chargement local, à une hauteur donnée, est géré par trois facteurs : l’angle du vent apparent local sur le profil, la cambrure du profil (c’est à dire l’angle du volet) et la longueur de corde du profil. Sous réserve que la combinaison de ces trois facteurs corresponde au chargement désiré localement, les performances seront très proches.
v&v.com : Le plan de formes d’une aile ne joue donc pas sur la performance ?
J.O. : Non, il ne joue pas vraiment. Deux ailes de deux plans de formes différents pourront avoir une répartition de chargement identique, sous réserve que leur vrillage soit optimum. De même, deux volets de tailles différentes pourront produire sans problème la même portance, seul leur angle de rotation sera différent.
v&v.com : Si on résume, le plan de formes joue peu sur la performance, la présence d’un ou plusieurs éléments mobiles (volets, becs…) n’induit pas de différences primordiales, et il ne reste donc de fondamental que le vrillage de l’aile et sa maîtrise ?
J.O. : Voilà ! Il faut que la répartition verticale de chargement soit maîtrisée. Du coup, le vrai facteur fondamental d’une aile est invisible : c’est la gestion du vrillage par l’intermédiaire de son système de contrôle. Il faut que le système de contrôle permette – à chaque instant – d’obtenir et de maîtriser la répartition de chargement optimale. C’est quelque chose de difficile à appréhender à partir de plans ou même de photos. Le travail aéro reste surtout d’identifier quel est ce chargement optimal pour le «range» de navigation considéré (la force et l’angle du vent), afin de pouvoir évaluer précisément le cahier des charges du système de contrôle. Les différents aspects «extérieurs» de l’aile (la taille des volets, le plan de formes), eux, auront surtout un impact sur la complexité du système de contrôle.
v&v.com : Votre priorité, sur Oracle, a donc été de développer un système de contrôle le plus performant, le plus fin et le plus réactif possible…
J.O. : Nos principaux axes de développement – plus que l’aile proprement dite, dont la priorité est toujours d’être la plus légère et la plus rigide possible – ont en effet été de développer un système de contrôle qui corresponde aux besoins de ces formats de régate. Cela dit, on a aussi beaucoup travaillé l’intégration de l’aile sur la plate-forme – on y reviendra – et la réduction du fardage général. Ces deux derniers points sont très intéressants, puisque les gains en performance se font de manière «passive» : pas besoin de réglages de la part de l’équipage en navigation.
v&v.com : Fort de tout ce que vous venez de développer, essayons de comparer les ailes entre elles. Et commençons par une approche globale : la section du profil des ailes…
D.D. : Sur ce point, toutes les équipes ont fini par converger vers des sections calculées pour favoriser un écoulement turbulent. A contrario, la première aile d’Artemis avait été conçue avec une épaisseur max de section de l’élément principal assez reculée et une proportion élément principal/volets en faveur du premier dans l’idée d’un écoulement laminaire. La bonne décision dépend en fait surtout des caractéristiques du vent à San Francisco : y-a-t-il des chances d’avoir de la laminarité ou non ? Il semble que personne ne pense que ce sera le cas !
v&v.com : Attends, je croyais qu’un écoulement laminaire était la base même du bon fonctionnement d’un profilo aéro ou hydro ?
D.D. : Oui, parler de section pour un écoulement turbulent ou laminaire peut être un peu déroutant pour nous, voileux. En fait, ça vient de l’abus de langage que nous faisons : nous parlons d’écoulement laminaire quand nous voyons nos penons d’intrado et d’extrados parallèles – et on considère alors que notre génois ou notre grand-voile sont bien réglés. C’est vrai… mais on confond alors «laminaire» avec «accroché» (et, inversement, «turbulent» avec «décroché»). En fait, quand nos deux penons sont parallèles, le flux est «accroché» sur l’intrados comme sur l’extrados. Mais quand on parle de flux turbulent ou laminaire, on parle de la couche limite de l’écoulement. Et il est tout à fait possible d’être «accroché» (penons parallèles) avec une couche limite turbulente – et c’est d’ailleurs vers ça que les équipes sont allées, compte tenu des sections choisies pour leurs ailes.
v&v.com : Ok, je comprends. On rejoint ici l’utilisation de «riblets» sur la coque du 12 Mètre JI Stars and Stripes de Dennis Conner, en 1987 – un adhésif strié, créé par 3M, qui mettait la couche limite en turbulence et permettait ainsi de la réduire, donc de réduire sa traînée
D.D. : Exactement. On peut être «turbulent» et «accroché» – c’est même une très bonne chose ! En fait, les mots «turbulent» ou «laminaire» décrivent ce qui se passe l’échelle de la molécule (d’air ou d’eau), alors que les mots «accroché» ou «décroché» concernent l’écoulement dans son ensemble.
v&v.com : Et le nombre d’éléments ? Sur Oracle, derrière votre élément principal (le bord d’attaque de l’aile), vous avez deux éléments mobiles : une sorte de tout petit volet en forme de bec, puis les volets proprement dits – aujourd’hui, tous les autres n’en ont qu’un. Pourquoi ?
D.D. : L’ajout de ce qu'on appelle un petit «tab» derrière l’élément principal, et en avant des volets, permet de retarder le décrochage de l’écoulement sur l’extrados à de grands angles de cambrure, en gardant une ouverture élément principal/volets arrière quasi constante, ou tout du moins contrôlée. La présence de ce «tab» facilite aussi le respect de certaines règles de jauge complexes aux grands angles de cambrure (je t'en fais grâce). Mais, surtout, pour une même section donnée et un même rapport élément principal/volet, on obtient une meilleure portance grâce à la présence de ce «tab». Cela dit, les gains sont ici de troisième ordre et le «tab», s’il est intéressant, ajoute à la complexité, au poids, au temps et coût de fabrication. Comme toujours en voile, tout est affaire de compromis et de choix…
v&v.com : Voyons maintenant le rapport entre l’élément principal et les volets – à l’œil nu, on note quelques différences…
D.D. : Pour ce qui est de la répartition élément principal/volets, Oracle est plus ou moins à 50-50. ETNZ a alloué 40% de son profil à l’élément principal, 60% aux volets. Artemis 1, c’était l’inverse : 57% pour l’élément principal, 13% pour le «tab» et 30% pour les volets. Quant à Artemis 2, il se retrouve entre ETNZ et nous : 45% pour l’élément principal, 55% pour les volets.
v&v.com : Mais, si je t’ai bien suivi, ces différences restent finalement non primordiales…
D.D. : Oui. Ces choix ont certes leur importance, mais ils sont ici de «deuxième ordre» au regard de la performance. Le plus important reste bien d’obtenir la distribution de portance en vertical souhaitée. La plupart des ailes induisant à peu près la même portance, c’est dans la capacité à faire varier le centre d’effort pour un même moment de redressement que réside la performance.
v&v.com : Quid du nombre de volets, du coup ?
D.D. : Le nombre de volets (ou «flaps») nous fait entrer directement dans l’interface complexe «aérodynamisme-structure-système de contrôle» dont je parlais au début. En gros, pour l’aéro, peu importe le nombre de volets ! Si tu avais une seule et unique membrane souple qui se déforme en respectant ce que les aérodynamiciens souhaitent, à savoir les formes-cibles qu’ils ont calculées, ceux-ci seraient tout aussi heureux ! Cette membrane souple ne serait d’ailleurs pas impossible, mais… avec les contraintes de poids et de position de Centre de Gravité (CG) de la jauge, tout le monde a dû faire des choix, des compromis. Et puisqu’on ne peut choisir une membrane souple continue, il faut découper la forme en essayant de rendre ce découpage harmonieux et discret.
v&v.com : ETNZ-Luna Rossa et vous, Oracle, avez choisi quatre volets. Artemis, six. pourquoi ?
D.D. : Choisir un nombre de volets revient à choisir un système de contrôle : si tu choisis d’avoir six volets, comme sur les deux ailes d’Artemis, il te faut autant de contrôles. Donc, plus de volets, c’est plus de poids. Le poids de la structure de chaque volet diminue certes en taille, puisqu’il s’exerce moins d’efforts sur chacun d’eux, et ça peut compenser l’ajout des structures «jointives» et les contrôles de ces volets – mais difficilement au-delà de cinq volets… Il ne faut pas oublier non plus que la jauge nous oblige à ce que les éléments puissent être rangés et transportés dans un certain volume et une certaine longueur max : cela a contribué à ne pas voir moins de quatre volets. ETNZ-Luna Rossa et nous avons donc fait ce choix de quatre volets.
v&v.com : Une fois le choix du nombre de volets effectué, reste à savoir comment on les contrôle – et si on les contrôle tous ensemble ou séparément !
D.D. : Tout à fait. Soit on essaye de faire une jonction, une transition, entre ces volets la plus continue possible (ETNZ-Luna Rossa, Oracle), soit on choisit l’inverse, des jonctions discontinues (Artemis). Ce choix dépend de ce que l’on veut obtenir avec les formes-cibles et comment on souhaite y parvenir via le système de contrôle. ETNZ-Luna Rossa et Oracle ont choisi de faire une transition la plus homogène possible, la plus continue possible entre chaque volet et d’avoir des volets dont la structure est, dans une certaine mesure, «souple» en torsion. Chez nous, c’est grâce à Steven Robert (déjà présent sur l’aile du trimaran géant BMW-Oracle) et son travail d’optimisation sur la structure des volets, en torsion comme en flexion, que le couplage avec le système de contrôle se fait de façon optimale. Avec ce type de volet déformable, c’est le système de contrôle qui dicte l’angle des volets à chaque «étage». Les volets sont connectés, couplés, par des axes, afin d’entraîner celui du dessous. Ça ressemble à une sorte d’embrayage qui serait toujours sur «on».
v&v.com : Chez Artemis, ils ont fait l’inverse, donc…
D.D. : Oui, un peu comme sur les avions, ils ont opté pour des volets rigides et totalement indépendants. L’idée – séduisante de prime abord – était de mettre chaque volet à un certain angle qui n’influe pas sur celui du dessus ou du dessous et, ainsi, de créer des profils de vrillage très particuliers, soit pour chercher plus de puissance dans les hauts ou, à l’inverse, déverser la puissance dans les hauts. Le concept était intéressant, donc, mais très lourd et bourré d’hydraulique à chaque étage. Pire, c’est une solution qui crée plus de traînée – or, à la différence d’un avion, on n’a pas de kérosène, la puissance vient soit de l’humain, soit du vent, elle est donc limitée... Et pire encore, les avantages que pouvait apporter cette solution, les autres équipes les ont obtenus sans les inconvénients ! Bilan de l’histoire, la deuxième aile d’Artemis n’avait plus que les deux volets du haut non connectés et un système de contrôle qui commençait à ressembler au système d’ETNZ ou à un système d’AC45 amélioré. L’arrivée d’Hervé Devaux (HDS) et de Gauthier Sergent (North Sails) au sein d’Artemis va sûrement permettre de remettre tout ça dans le droit chemin – et je ne serais pas étonné que l’aile finale des Suédois soit très intéressante…
Sur Voiles et Voiliers / Web, les français Dimitri Despierres et Joseph Ozanne expriment leur points de vue sur les ailes rigides des AC72 en lice pour la coupe America.
Tout deux étant impliqués chez Oracle dans la conception des ailes.
voilesetvoiliers.com : Qu'est-ce que les ingénieurs aéro, architectes et concepteurs des différentes équipes ont cherché avec leur aile ?
Dimitri Despierres : A aller plus vite que la concurrence ! Pour bien comprendre tout ça, il faut revenir aux bases. Il y a deux aspects à considérer pour une aile : l’un aérodynamique, l’autre structurel, le lien entre les deux – fondamental !– étant le système de contrôle de l’aile. C’est à dire la maîtrise des formes aérodynamiques. Pour cela, les ingénieurs et les navigants ont des cibles («targets», en anglais) : ce sont des formes données pour des conditions de force et d’angle de vent données. Cela dit, il faut aussi se préoccuper aussi de ce qui est «hors-cible» (nous disons «off-target») : ce sont les formes particulières recherchées pendant les transitions – virement, empannage, passage de marque, situation tactique particulière… Ces trois éléments – aérodynamisme, structure et contrôle de l’aile – sont à la base de tout.
v&v.com : Justement, qu’est-ce qui prime dans la conception d’une aile : la recherche d’une vitesse de pointe élevée ou la rapidité de mise en œuvre du profil, notamment lors des transitions (virement, empannage...) ?
D.D. : Eh bien, toutes les équipes n’ont pas fait les mêmes choix. Les Néo-Zeds ont ainsi imaginé un système qui leur permet de pouvoir cambrer le bas de l’aile très tôt – lors des empannages, par exemple –, via un vérin double action. L’avantage est bien entendu d’être cambré le plus tôt possible pour créer le moment de redressement voulu et continuer de voler. L’inconvénient est que ceci ne se fait pas tout seul : il faut que l’équipage intervienne, voire anticipe davantage les choses pour pouvoir profiter de cette fonction – sans compter la friction ajoutée par ce système… Et s’il est vrai que le format des régates va donner une certaine importance aux différentes manœuvres, la puissance à bord est de toute façon limitée par le nombre d’équipiers actionnant les manivelles.
v&v.com : Finalement, vu la jauge, le cahier des charges et le plan d’eau, pourquoi les ailes d’Oracle, ETNZ-Luna Rossa et Artemis sont-elles aussi différentes ?
D.D. : Pour commencer, c’est la première fois qu’on applique ces règles, qu’on se frotte à cette jauge ! Il est donc normal que les approches aient été quelque peu différentes. Et puis, il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas les inventeurs des ailes sur un bateau. Différents concepts ont été testés, les catas de Classe C, les engins de records comme Yellow Pages Endeavour, le cata Stars & Stripes lors de l’America’s Cup 1988 – et j’en passe. Tous ces bateaux avaient des problématiques différentes. La nôtre, c’est d’aller le plus vite possible entre des bouées avec des bords de près, de portant et de travers, mais c’est aussi – et surtout – gérer la surpuissance ! Par 12 nœuds de vent, les AC72 entrent en surpuissance. Et on veut qu’ils naviguent toujours par 25 nœuds de brise sans avoir changé de surface de «grand-voile» – pas évident !
Joseph Ozanne : Pour ma part, et au risque de te décevoir, je dirais que les ailes ne sont pas si différentes entre elles. Il y a deux aspects à bien distinguer sur le fonctionnement d’une aile : l’aspect tridimensionnel (y compris son intégration sur la plate-forme et sa contribution à l’équilibre général) et l’aspect bidimensionnel (la forme de ses sections, le nombre ou la taille de ses volets…). Le principal objectif, comme sur n’importe quel autre voilier, c’est d’obtenir une traînée minimale pour un point de fonctionnement donné. Avec les AC72, parler d’ailes plus ou moins «puissantes» n’est pas pertinent : on ne navigue quasiment jamais à puissance max ! Avec un AC72, le jeu – comme avec pas mal de voiliers «classiques», d’ailleurs –, c’est de maîtriser l’art du «depower» : diminuer la puissance en minimisant la traînée. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’aspect tridimensionnel – la répartition verticale du chargement aéro – régule près de 90% de la traînée totale de l’aile. Donc, toute question relative à la forme des sections et/ou à la topologie de l’aile (le nombre d’éléments verticaux, la proportion des volets) est secondaire quant à la performance relative des différentes ailes.
v&v.com : Tu veux dire que le point vraiment critique, c’est de pouvoir gérer de manière optimale la répartition verticale du chargement aéro ?
J.O. : C’est ça. Le chargement local, à une hauteur donnée, est géré par trois facteurs : l’angle du vent apparent local sur le profil, la cambrure du profil (c’est à dire l’angle du volet) et la longueur de corde du profil. Sous réserve que la combinaison de ces trois facteurs corresponde au chargement désiré localement, les performances seront très proches.
v&v.com : Le plan de formes d’une aile ne joue donc pas sur la performance ?
J.O. : Non, il ne joue pas vraiment. Deux ailes de deux plans de formes différents pourront avoir une répartition de chargement identique, sous réserve que leur vrillage soit optimum. De même, deux volets de tailles différentes pourront produire sans problème la même portance, seul leur angle de rotation sera différent.
v&v.com : Si on résume, le plan de formes joue peu sur la performance, la présence d’un ou plusieurs éléments mobiles (volets, becs…) n’induit pas de différences primordiales, et il ne reste donc de fondamental que le vrillage de l’aile et sa maîtrise ?
J.O. : Voilà ! Il faut que la répartition verticale de chargement soit maîtrisée. Du coup, le vrai facteur fondamental d’une aile est invisible : c’est la gestion du vrillage par l’intermédiaire de son système de contrôle. Il faut que le système de contrôle permette – à chaque instant – d’obtenir et de maîtriser la répartition de chargement optimale. C’est quelque chose de difficile à appréhender à partir de plans ou même de photos. Le travail aéro reste surtout d’identifier quel est ce chargement optimal pour le «range» de navigation considéré (la force et l’angle du vent), afin de pouvoir évaluer précisément le cahier des charges du système de contrôle. Les différents aspects «extérieurs» de l’aile (la taille des volets, le plan de formes), eux, auront surtout un impact sur la complexité du système de contrôle.
v&v.com : Votre priorité, sur Oracle, a donc été de développer un système de contrôle le plus performant, le plus fin et le plus réactif possible…
J.O. : Nos principaux axes de développement – plus que l’aile proprement dite, dont la priorité est toujours d’être la plus légère et la plus rigide possible – ont en effet été de développer un système de contrôle qui corresponde aux besoins de ces formats de régate. Cela dit, on a aussi beaucoup travaillé l’intégration de l’aile sur la plate-forme – on y reviendra – et la réduction du fardage général. Ces deux derniers points sont très intéressants, puisque les gains en performance se font de manière «passive» : pas besoin de réglages de la part de l’équipage en navigation.
v&v.com : Fort de tout ce que vous venez de développer, essayons de comparer les ailes entre elles. Et commençons par une approche globale : la section du profil des ailes…
D.D. : Sur ce point, toutes les équipes ont fini par converger vers des sections calculées pour favoriser un écoulement turbulent. A contrario, la première aile d’Artemis avait été conçue avec une épaisseur max de section de l’élément principal assez reculée et une proportion élément principal/volets en faveur du premier dans l’idée d’un écoulement laminaire. La bonne décision dépend en fait surtout des caractéristiques du vent à San Francisco : y-a-t-il des chances d’avoir de la laminarité ou non ? Il semble que personne ne pense que ce sera le cas !
v&v.com : Attends, je croyais qu’un écoulement laminaire était la base même du bon fonctionnement d’un profilo aéro ou hydro ?
D.D. : Oui, parler de section pour un écoulement turbulent ou laminaire peut être un peu déroutant pour nous, voileux. En fait, ça vient de l’abus de langage que nous faisons : nous parlons d’écoulement laminaire quand nous voyons nos penons d’intrado et d’extrados parallèles – et on considère alors que notre génois ou notre grand-voile sont bien réglés. C’est vrai… mais on confond alors «laminaire» avec «accroché» (et, inversement, «turbulent» avec «décroché»). En fait, quand nos deux penons sont parallèles, le flux est «accroché» sur l’intrados comme sur l’extrados. Mais quand on parle de flux turbulent ou laminaire, on parle de la couche limite de l’écoulement. Et il est tout à fait possible d’être «accroché» (penons parallèles) avec une couche limite turbulente – et c’est d’ailleurs vers ça que les équipes sont allées, compte tenu des sections choisies pour leurs ailes.
v&v.com : Ok, je comprends. On rejoint ici l’utilisation de «riblets» sur la coque du 12 Mètre JI Stars and Stripes de Dennis Conner, en 1987 – un adhésif strié, créé par 3M, qui mettait la couche limite en turbulence et permettait ainsi de la réduire, donc de réduire sa traînée
D.D. : Exactement. On peut être «turbulent» et «accroché» – c’est même une très bonne chose ! En fait, les mots «turbulent» ou «laminaire» décrivent ce qui se passe l’échelle de la molécule (d’air ou d’eau), alors que les mots «accroché» ou «décroché» concernent l’écoulement dans son ensemble.
v&v.com : Et le nombre d’éléments ? Sur Oracle, derrière votre élément principal (le bord d’attaque de l’aile), vous avez deux éléments mobiles : une sorte de tout petit volet en forme de bec, puis les volets proprement dits – aujourd’hui, tous les autres n’en ont qu’un. Pourquoi ?
D.D. : L’ajout de ce qu'on appelle un petit «tab» derrière l’élément principal, et en avant des volets, permet de retarder le décrochage de l’écoulement sur l’extrados à de grands angles de cambrure, en gardant une ouverture élément principal/volets arrière quasi constante, ou tout du moins contrôlée. La présence de ce «tab» facilite aussi le respect de certaines règles de jauge complexes aux grands angles de cambrure (je t'en fais grâce). Mais, surtout, pour une même section donnée et un même rapport élément principal/volet, on obtient une meilleure portance grâce à la présence de ce «tab». Cela dit, les gains sont ici de troisième ordre et le «tab», s’il est intéressant, ajoute à la complexité, au poids, au temps et coût de fabrication. Comme toujours en voile, tout est affaire de compromis et de choix…
v&v.com : Voyons maintenant le rapport entre l’élément principal et les volets – à l’œil nu, on note quelques différences…
D.D. : Pour ce qui est de la répartition élément principal/volets, Oracle est plus ou moins à 50-50. ETNZ a alloué 40% de son profil à l’élément principal, 60% aux volets. Artemis 1, c’était l’inverse : 57% pour l’élément principal, 13% pour le «tab» et 30% pour les volets. Quant à Artemis 2, il se retrouve entre ETNZ et nous : 45% pour l’élément principal, 55% pour les volets.
v&v.com : Mais, si je t’ai bien suivi, ces différences restent finalement non primordiales…
D.D. : Oui. Ces choix ont certes leur importance, mais ils sont ici de «deuxième ordre» au regard de la performance. Le plus important reste bien d’obtenir la distribution de portance en vertical souhaitée. La plupart des ailes induisant à peu près la même portance, c’est dans la capacité à faire varier le centre d’effort pour un même moment de redressement que réside la performance.
v&v.com : Quid du nombre de volets, du coup ?
D.D. : Le nombre de volets (ou «flaps») nous fait entrer directement dans l’interface complexe «aérodynamisme-structure-système de contrôle» dont je parlais au début. En gros, pour l’aéro, peu importe le nombre de volets ! Si tu avais une seule et unique membrane souple qui se déforme en respectant ce que les aérodynamiciens souhaitent, à savoir les formes-cibles qu’ils ont calculées, ceux-ci seraient tout aussi heureux ! Cette membrane souple ne serait d’ailleurs pas impossible, mais… avec les contraintes de poids et de position de Centre de Gravité (CG) de la jauge, tout le monde a dû faire des choix, des compromis. Et puisqu’on ne peut choisir une membrane souple continue, il faut découper la forme en essayant de rendre ce découpage harmonieux et discret.
v&v.com : ETNZ-Luna Rossa et vous, Oracle, avez choisi quatre volets. Artemis, six. pourquoi ?
D.D. : Choisir un nombre de volets revient à choisir un système de contrôle : si tu choisis d’avoir six volets, comme sur les deux ailes d’Artemis, il te faut autant de contrôles. Donc, plus de volets, c’est plus de poids. Le poids de la structure de chaque volet diminue certes en taille, puisqu’il s’exerce moins d’efforts sur chacun d’eux, et ça peut compenser l’ajout des structures «jointives» et les contrôles de ces volets – mais difficilement au-delà de cinq volets… Il ne faut pas oublier non plus que la jauge nous oblige à ce que les éléments puissent être rangés et transportés dans un certain volume et une certaine longueur max : cela a contribué à ne pas voir moins de quatre volets. ETNZ-Luna Rossa et nous avons donc fait ce choix de quatre volets.
v&v.com : Une fois le choix du nombre de volets effectué, reste à savoir comment on les contrôle – et si on les contrôle tous ensemble ou séparément !
D.D. : Tout à fait. Soit on essaye de faire une jonction, une transition, entre ces volets la plus continue possible (ETNZ-Luna Rossa, Oracle), soit on choisit l’inverse, des jonctions discontinues (Artemis). Ce choix dépend de ce que l’on veut obtenir avec les formes-cibles et comment on souhaite y parvenir via le système de contrôle. ETNZ-Luna Rossa et Oracle ont choisi de faire une transition la plus homogène possible, la plus continue possible entre chaque volet et d’avoir des volets dont la structure est, dans une certaine mesure, «souple» en torsion. Chez nous, c’est grâce à Steven Robert (déjà présent sur l’aile du trimaran géant BMW-Oracle) et son travail d’optimisation sur la structure des volets, en torsion comme en flexion, que le couplage avec le système de contrôle se fait de façon optimale. Avec ce type de volet déformable, c’est le système de contrôle qui dicte l’angle des volets à chaque «étage». Les volets sont connectés, couplés, par des axes, afin d’entraîner celui du dessous. Ça ressemble à une sorte d’embrayage qui serait toujours sur «on».
v&v.com : Chez Artemis, ils ont fait l’inverse, donc…
D.D. : Oui, un peu comme sur les avions, ils ont opté pour des volets rigides et totalement indépendants. L’idée – séduisante de prime abord – était de mettre chaque volet à un certain angle qui n’influe pas sur celui du dessus ou du dessous et, ainsi, de créer des profils de vrillage très particuliers, soit pour chercher plus de puissance dans les hauts ou, à l’inverse, déverser la puissance dans les hauts. Le concept était intéressant, donc, mais très lourd et bourré d’hydraulique à chaque étage. Pire, c’est une solution qui crée plus de traînée – or, à la différence d’un avion, on n’a pas de kérosène, la puissance vient soit de l’humain, soit du vent, elle est donc limitée... Et pire encore, les avantages que pouvait apporter cette solution, les autres équipes les ont obtenus sans les inconvénients ! Bilan de l’histoire, la deuxième aile d’Artemis n’avait plus que les deux volets du haut non connectés et un système de contrôle qui commençait à ressembler au système d’ETNZ ou à un système d’AC45 amélioré. L’arrivée d’Hervé Devaux (HDS) et de Gauthier Sergent (North Sails) au sein d’Artemis va sûrement permettre de remettre tout ça dans le droit chemin – et je ne serais pas étonné que l’aile finale des Suédois soit très intéressante…
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
La suite de l'entretien :
v&v.com : Venons-en maintenant à l’élément principal, primordial puisqu’il est à la fois le bord d’attaque de l’aile et son «mât». Sa structure elle-même a dû faire l’objet de recherches poussées …
Dimitri Despierres : Oui, d’autant que cette structure est «imposée» par ce que l’on cherche à faire avec cet élément. Question de base : veut-on vriller l’élément principal – je veux dire «forcer son vrillage» – ou pas ? Oui, ont répondu ETNZ et Luna Rossa. Du coup, ils ont réalisé un tube structurel au centre, jusqu’à mi-hauteur, avec un carénage autour à la forme de la section aéro, avec un système dédié pour contrôler le vrillage de cette section par rapport au tube central. Au-dessus de la mi-hauteur, le tube structurel en «D» reprend la forme de la section aéro jusqu’en tête de l’aile.
v&v.com : Mais pourquoi chercher à faire vriller l’élément principal ?
D.D. : Pour éviter le décrochage de l’écoulement à des angles d’attaque important – ou au moins devenir plus tolérant à ce décrochage. Le fait de le vriller permet de réduire cet angle d’attaque localement et, ainsi, de pouvoir prendre en compte le gradient soit créé par le vent lui-même, soit créé par la présence du gennaker ou du génois en amont, mais surtout par l’effet 3D de l’écoulement le long de l’envergure. Etre «décroché» crée non seulement une perte de portance, mais aussi une énorme traînée additionnelle. C’est vrai pour une aile comme ça l’est pour une grand-voile. C’est dans le vent faible, les phases de vitesse faible et au portant qu’un l’élément principal qui vrille peut montrer son avantage.
v&v.com : La moitié de l’élément principal peut donc vriller. Pourquoi pas l’ensemble de cet élément ? Trop compliqué, trop risqué ?
D.D. : L’ensemble de l’élément principal pourrait vriller, oui, il suffirait de continuer le principe qui s’arrête à la mi-hauteur jusqu’en haut – ça s’est déjà vu sur les catas de Classe C et on l’a même testé chez nous sur une aile d’AC45, mais on n’a pas retenu cette solution pour notre AC72 – je ne peux pas t'en dire plus ! Il y aurait quand même un désavantage à ce vrillage total, c’est le poids. Car on ne peut se passer de la forme aéro (donc d’un poids minimum associé à cette surface), ni de la partie structurelle pour faire que tout ceci se tienne (donc un poids conséquent également). Résultat : sur toute la hauteur où on souhaite obtenir un élément principal qui vrille, on augmente de manière significative le poids de cet élément et on influe sur la position du Centre de Gravité (CG).
v&v.com : Poids et CG étant encadrés par la jauge des AC72…
D.D. : Oui. Lors de la conception, le poids minimum de l’aile était de 1 325 kilos et son CG à 16,25 mètres minimum. Du coup, pour pouvoir réaliser un élément principal qui vrille sans trop être pénalisé, ETNZ a dû faire des compromis sur sa première itération d’aile. Pas très réussie : le carénage de l’élément principal, trop souple pour une question de légèreté, flambait sous charge – ça donnait donc un profil tordu et cabossé qui ne respectait plus la forme aéro et des volets trop souples en torsion, car plus légers pour compenser le surpoids du système. Leur deuxième aile est bien plus propre et ne souffre plus de ces défauts, mais souffre d’un poids un peu supérieur.
v&v.com : Oracle a choisi un élément principal qui ne vrille pas. Donc plus léger, mais moins tolérant ?
D.D. : Oui, tout comme la dernière aile d’Artemis, semble-t-il. Ça ne veut pas dire que ces ailes décrochent tout le temps, mais qu’il faut être plus vigilant à leur réglage pour l’éviter et obtenir le bon moment de redressement. La marge avant le décrochage est moindre en l’absence d’un élément principal qui vrille – mais c’est pour ça qu’on a le meilleur régleur d’aile, «Cheese», alias Dirk de Ridder !
v&v.com : Voyons maintenant la structure interne – les nervures, ou membrures, ou «frames» comme on les appelle…
D.D. : On s’en passerait bien, de ces «frames», car elles ne font qu’ajouter au poids – mais elles sont indispensables. Dans le cas de la forme aéro d’une section de l’élément principal par exemple, il nous faut d'abord une partie structurelle qui reprendra la compression et flexion de l’ensemble de l’envergure – c’est en gros le rôle d’un mât qui peut, soit être intérieur, soit avoir la forme avant de la section aéro, soit même la forme milieu, comme sur l’aile de notre trimaran USA-17, mais cela oblige à rajouter un cône avant. En tout cas, une fois cette fonction structurelle assurée, reste à donner au reste de l’aile la section voulue pour un minimum de poids. C’est là qu’interviennent les nervures. Ultra-légères – parfois même avec une seule peau de carbone de chaque côté de l’âme en nid-d’abeilles !–, ces membrures reprennent la pré-tension du film provenant de sa mise en place à chaud, mais aussi bien sûr la compression due aux forces aérodynamiques. Au niveau de la membrure elle-même, le film repose parfaitement dessus, mais entre deux membrures, le film, une fois soumis aux forces aéro, a tendance à fléchir – en pression ou en succion, selon le côté de l’aile. La forme s’éloigne alors de la section aérodynamique idéale.
v&v.com : On peut éviter ça ?
D.D. : Pas facile. On peut augmenter la tension du film – mais, dans ce cas, il faut augmenter la structure des membrures (donc leur poids) et la fréquence des membrures, pour réduire l’espace entre chacune (ce qui augmente aussi le poids). Le choix du film lui-même joue un rôle pour minimiser la déformation, mais cela se ressent aussi sur le poids : la surface à couvrir n’est pas négligeable ! Chacun a fait ses études dans son coin mais, chez toutes les équipes, les membrures se ressemblent, l’espacement entre elles est quasi identique, juste un peu plus grand pour ETNZ – normal : il leur faut bien compenser le poids supérieur d’un élément principal qui vrille… Artemis avait d’abord choisi la voie d’un film plus costaud et un espacement assez important, sûrement associé à des membrures un peu plus rigides, mais la dernière aile en date se situait entre celle d’ETNZ et la nôtre.
v&v.com : Vient maintenant le cœur de l’aile – son système nerveux, son système de contrôle. Là, on touche au secret-défense, non ?
D.D. : Oui, c’est ce qu’il y a de moins visible et pourtant, comme disait Joseph, c’est de premier ordre d’importance pour la performance ! Le but, on l’a vu tout à l’heure, c’est d’obtenir la répartition verticale de portance voulue et placer le centre de poussée à la position désirée. Il est encore trop tôt pour tout dévoiler sur ce que peut faire notre système, mais une comparaison rapide (en dehors de ce qui a déjà été abordé tout à l'heure pour la connexion des volets) donne déjà une bonne idée de ce que chaque équipe s’est efforcée d’accomplir.
v&v.com : Voyons ça. En commençant par l’élément principal d’ETNZ, puisque les Kiwis peuvent jouer sur son vrillage….
D.D. : Oui, du coup, une partie de son système de contrôle réside dans la partie la plus basse de l’aile. Le fait de pouvoir forcer le vrillage de l’enveloppe sur cette partie base ajoute à la complexité générale et n’est pas simple à concevoir, surtout avec la nécessité de rester léger. Ça a l’air de fonctionner, mais je n’ai pas d’autres détails sur ce point. Pour Oracle et Artemis, pas de contrôle dynamique du vrillage de l’élément principal.
v&v.com : OK. Et pour le contrôle des volets ?
D.D. : La plupart du temps, il y a un différentiel appliqué à l’angle choisi au bas de l’aile entre l’élément principal et le bas du premier volet. La principale différence visuelle réside dans la position de ce différentiel, mais le plus important vient de ce qu’est capable de réaliser ce différentiel en question… ETNZ, Luna Rossa et, dernièrement, Artemis (après modification de la deuxième aile) ont adopté une variation de ce que nous avions sur l’aile de notre trimaran USA-17 : une sorte de grand secteur extérieur sur le bas du premier volet. Cette solution reste la plus courante aujourd’hui (Classe C, AC45…). Malheureusement, c’est celle qui induit le plus de frictions, car tous les réglages ont besoin de re-rentrer dans l’aile et, de surcroît, l’ensemble du système a un fardage non négligeable.
v&v.com : Sur Oracle, ce système de différentiel réside à l’intérieur de l’aile…
D.D. : Oui. Seule une petite «barre de flèche» reste extérieure pour l’asservissement sur l’angle de cambrure bas. On pourrait d’ailleurs le rendre indépendant, mais ceci au détriment de fonctionnalités importantes souhaitées par notre équipage. Moins de fardage, moins de friction et un système qui s’adapte très bien à des situations très différentes, parfois extrêmes et opposées... Sur l’eau, on voit nettement la différence de réglage obtenue en ligne droite, mais aussi lors des transitions, une clé à bien des problèmes. Nous en reparlerons peut-être plus tard à l’approche de la Coupe (rires).
v&v.com : Mais, sur Oracle, vous avez aussi ce «tab», ce petit volet intermédiaire placé entre l’élément principal et les volets. Comment le réglez-vous ?
D.D. : Eh bien tu vois, on pourrait penser qu’on intervienne sur son réglage en navigation – c’est possible, certains Classe C le font d’ailleurs –, mais, encore une fois, la simplicité l’a emporté : l’angle du «tab» est asservi à l’angle du volet local ! Pour chaque section, le volet entraîne le «tab» à tourner le long de l’envergure par le préréglage d’une ouverture idéale, déterminée numériquement sur ordinateur en «Computational Fluid Dynamic» (CFD).
v&v.com : Le fait de voler sur des foils a-t-il changé la donne de vos ailes ? Conduit à les faire évoluer différemment ?
J.O. : Non, pas vraiment. Inversement, ce qu’on fait avec les AC72 – voler sur des foils – ne serait tout simplement pas possible sans les ailes ! J’irai même plus loin en disant que les ailes sont un élément indispensable pour pouvoir manœuvrer et régater avec un gros multicoque ! Avec des bateaux aussi puissants, les efforts nécessaires pour régler les voiles sont trop importants pour être gérables par un équipage sur des parcours courts. Il faut pouvoir border et choquer de manière très rapide – aujourd’hui, seules les ailes permettent de le faire, grâce aux efforts proportionnellement très faibles qui s’exercent sur le chariot.
v&v.com : L’expérience que vous avez accumulée sur le trimaran géant USA-17 a-t-elle été un véritable atout pour l’équipe d'Oracle ?
J.O. : Incontestablement. Un de nos avantages a été de savoir à l’avance sur quels éléments focaliser le développement de nos ailes, sans nous perdre dans un design compliqué. C’est pourquoi nos ailes sont finalement très simples : elles font le job requis. L’héritage d’USA-17 a permis de mettre rapidement les priorités sur les points fondamentaux, définir l’enveloppe de fonctionnement, le système de contrôle et l’aérodynamique de la plate-forme, sans chercher à intégrer des options coûteuses qui existent sur d’autres ailes, comme celles des Classe C par exemple. Et les designers et ingénieurs impliqués étaient déjà présents sur USA-17 : Dimitri, bien sûr, mais aussi Mario Caponnetto et Francis Hueber, entre autres.
v&v.com : Avoir une belle aile, c’est bien. Mais, à 40 nœuds et plus, il faut soigner tout ce qui freine – donc l’hydro et l’aérodynamisme ?
D.D. : Oh oui ! Toutes les équipes se sont efforcées d’obtenir une aile la plus «propre» possible en minimisant les parties dépassant de la forme aérodynamique. Vu les vitesses atteintes au près comme au portant, le fardage n’est clairement pas un ami de la performance ! En tout cas, cela a été un point crucial pour nous. La plate-forme du deuxième Oracle dispose ainsi d’un «pod», sorte de pied central sur lequel vient s'accrocher une structure légère «en dur» faisant office de «plaque d’extrémité» pour l’aile. Cette structure permet de séparer les écoulements de l’intrados et de l’extrados, de produire un «effet de plaque», qui limite les vortex, les tourbillons néfastes le long du panneau bas de l’aile. C’est le fameux effet de sol recherché en Formule 1. Et c’est en gros ce que les Néo-Zeds d’ETNZ cherchent à faire avec leur structure en arc entre les poutres en «Y». Cette plaque d’extrémité, c'est d’ailleurs sur notre premier AC72 qu'elle est apparue. Mais il n'est pas étonnant que l'ensemble des défis pensent à ça, c'est du bon sens aéro – tout comme les carénages sur l'arrière des bras. Cela dit, il faut le reconnaître : l’aérodynamisme d'Oracle a vraiment été poussé à l'extrême dès le début.
v&v.com : Quitte à produire des flotteurs certes moins pénalisants en termes de traînée que ceux d’ETNZ, mais peut-être un peu «limites» en termes de flottabilité aux étraves, non ?
D.D. : C'est un débat. Mais toutes les études prouvent le bien-fondé de cette démarche. Et je peux te garantir une chose : dans notre situation, en octobre dernier, ETNZ aurait chaviré aussi bien que nous, volume dans les étraves ou pas !
v&v.com : Venons-en maintenant à l’élément principal, primordial puisqu’il est à la fois le bord d’attaque de l’aile et son «mât». Sa structure elle-même a dû faire l’objet de recherches poussées …
Dimitri Despierres : Oui, d’autant que cette structure est «imposée» par ce que l’on cherche à faire avec cet élément. Question de base : veut-on vriller l’élément principal – je veux dire «forcer son vrillage» – ou pas ? Oui, ont répondu ETNZ et Luna Rossa. Du coup, ils ont réalisé un tube structurel au centre, jusqu’à mi-hauteur, avec un carénage autour à la forme de la section aéro, avec un système dédié pour contrôler le vrillage de cette section par rapport au tube central. Au-dessus de la mi-hauteur, le tube structurel en «D» reprend la forme de la section aéro jusqu’en tête de l’aile.
v&v.com : Mais pourquoi chercher à faire vriller l’élément principal ?
D.D. : Pour éviter le décrochage de l’écoulement à des angles d’attaque important – ou au moins devenir plus tolérant à ce décrochage. Le fait de le vriller permet de réduire cet angle d’attaque localement et, ainsi, de pouvoir prendre en compte le gradient soit créé par le vent lui-même, soit créé par la présence du gennaker ou du génois en amont, mais surtout par l’effet 3D de l’écoulement le long de l’envergure. Etre «décroché» crée non seulement une perte de portance, mais aussi une énorme traînée additionnelle. C’est vrai pour une aile comme ça l’est pour une grand-voile. C’est dans le vent faible, les phases de vitesse faible et au portant qu’un l’élément principal qui vrille peut montrer son avantage.
v&v.com : La moitié de l’élément principal peut donc vriller. Pourquoi pas l’ensemble de cet élément ? Trop compliqué, trop risqué ?
D.D. : L’ensemble de l’élément principal pourrait vriller, oui, il suffirait de continuer le principe qui s’arrête à la mi-hauteur jusqu’en haut – ça s’est déjà vu sur les catas de Classe C et on l’a même testé chez nous sur une aile d’AC45, mais on n’a pas retenu cette solution pour notre AC72 – je ne peux pas t'en dire plus ! Il y aurait quand même un désavantage à ce vrillage total, c’est le poids. Car on ne peut se passer de la forme aéro (donc d’un poids minimum associé à cette surface), ni de la partie structurelle pour faire que tout ceci se tienne (donc un poids conséquent également). Résultat : sur toute la hauteur où on souhaite obtenir un élément principal qui vrille, on augmente de manière significative le poids de cet élément et on influe sur la position du Centre de Gravité (CG).
v&v.com : Poids et CG étant encadrés par la jauge des AC72…
D.D. : Oui. Lors de la conception, le poids minimum de l’aile était de 1 325 kilos et son CG à 16,25 mètres minimum. Du coup, pour pouvoir réaliser un élément principal qui vrille sans trop être pénalisé, ETNZ a dû faire des compromis sur sa première itération d’aile. Pas très réussie : le carénage de l’élément principal, trop souple pour une question de légèreté, flambait sous charge – ça donnait donc un profil tordu et cabossé qui ne respectait plus la forme aéro et des volets trop souples en torsion, car plus légers pour compenser le surpoids du système. Leur deuxième aile est bien plus propre et ne souffre plus de ces défauts, mais souffre d’un poids un peu supérieur.
v&v.com : Oracle a choisi un élément principal qui ne vrille pas. Donc plus léger, mais moins tolérant ?
D.D. : Oui, tout comme la dernière aile d’Artemis, semble-t-il. Ça ne veut pas dire que ces ailes décrochent tout le temps, mais qu’il faut être plus vigilant à leur réglage pour l’éviter et obtenir le bon moment de redressement. La marge avant le décrochage est moindre en l’absence d’un élément principal qui vrille – mais c’est pour ça qu’on a le meilleur régleur d’aile, «Cheese», alias Dirk de Ridder !
v&v.com : Voyons maintenant la structure interne – les nervures, ou membrures, ou «frames» comme on les appelle…
D.D. : On s’en passerait bien, de ces «frames», car elles ne font qu’ajouter au poids – mais elles sont indispensables. Dans le cas de la forme aéro d’une section de l’élément principal par exemple, il nous faut d'abord une partie structurelle qui reprendra la compression et flexion de l’ensemble de l’envergure – c’est en gros le rôle d’un mât qui peut, soit être intérieur, soit avoir la forme avant de la section aéro, soit même la forme milieu, comme sur l’aile de notre trimaran USA-17, mais cela oblige à rajouter un cône avant. En tout cas, une fois cette fonction structurelle assurée, reste à donner au reste de l’aile la section voulue pour un minimum de poids. C’est là qu’interviennent les nervures. Ultra-légères – parfois même avec une seule peau de carbone de chaque côté de l’âme en nid-d’abeilles !–, ces membrures reprennent la pré-tension du film provenant de sa mise en place à chaud, mais aussi bien sûr la compression due aux forces aérodynamiques. Au niveau de la membrure elle-même, le film repose parfaitement dessus, mais entre deux membrures, le film, une fois soumis aux forces aéro, a tendance à fléchir – en pression ou en succion, selon le côté de l’aile. La forme s’éloigne alors de la section aérodynamique idéale.
v&v.com : On peut éviter ça ?
D.D. : Pas facile. On peut augmenter la tension du film – mais, dans ce cas, il faut augmenter la structure des membrures (donc leur poids) et la fréquence des membrures, pour réduire l’espace entre chacune (ce qui augmente aussi le poids). Le choix du film lui-même joue un rôle pour minimiser la déformation, mais cela se ressent aussi sur le poids : la surface à couvrir n’est pas négligeable ! Chacun a fait ses études dans son coin mais, chez toutes les équipes, les membrures se ressemblent, l’espacement entre elles est quasi identique, juste un peu plus grand pour ETNZ – normal : il leur faut bien compenser le poids supérieur d’un élément principal qui vrille… Artemis avait d’abord choisi la voie d’un film plus costaud et un espacement assez important, sûrement associé à des membrures un peu plus rigides, mais la dernière aile en date se situait entre celle d’ETNZ et la nôtre.
v&v.com : Vient maintenant le cœur de l’aile – son système nerveux, son système de contrôle. Là, on touche au secret-défense, non ?
D.D. : Oui, c’est ce qu’il y a de moins visible et pourtant, comme disait Joseph, c’est de premier ordre d’importance pour la performance ! Le but, on l’a vu tout à l’heure, c’est d’obtenir la répartition verticale de portance voulue et placer le centre de poussée à la position désirée. Il est encore trop tôt pour tout dévoiler sur ce que peut faire notre système, mais une comparaison rapide (en dehors de ce qui a déjà été abordé tout à l'heure pour la connexion des volets) donne déjà une bonne idée de ce que chaque équipe s’est efforcée d’accomplir.
v&v.com : Voyons ça. En commençant par l’élément principal d’ETNZ, puisque les Kiwis peuvent jouer sur son vrillage….
D.D. : Oui, du coup, une partie de son système de contrôle réside dans la partie la plus basse de l’aile. Le fait de pouvoir forcer le vrillage de l’enveloppe sur cette partie base ajoute à la complexité générale et n’est pas simple à concevoir, surtout avec la nécessité de rester léger. Ça a l’air de fonctionner, mais je n’ai pas d’autres détails sur ce point. Pour Oracle et Artemis, pas de contrôle dynamique du vrillage de l’élément principal.
v&v.com : OK. Et pour le contrôle des volets ?
D.D. : La plupart du temps, il y a un différentiel appliqué à l’angle choisi au bas de l’aile entre l’élément principal et le bas du premier volet. La principale différence visuelle réside dans la position de ce différentiel, mais le plus important vient de ce qu’est capable de réaliser ce différentiel en question… ETNZ, Luna Rossa et, dernièrement, Artemis (après modification de la deuxième aile) ont adopté une variation de ce que nous avions sur l’aile de notre trimaran USA-17 : une sorte de grand secteur extérieur sur le bas du premier volet. Cette solution reste la plus courante aujourd’hui (Classe C, AC45…). Malheureusement, c’est celle qui induit le plus de frictions, car tous les réglages ont besoin de re-rentrer dans l’aile et, de surcroît, l’ensemble du système a un fardage non négligeable.
v&v.com : Sur Oracle, ce système de différentiel réside à l’intérieur de l’aile…
D.D. : Oui. Seule une petite «barre de flèche» reste extérieure pour l’asservissement sur l’angle de cambrure bas. On pourrait d’ailleurs le rendre indépendant, mais ceci au détriment de fonctionnalités importantes souhaitées par notre équipage. Moins de fardage, moins de friction et un système qui s’adapte très bien à des situations très différentes, parfois extrêmes et opposées... Sur l’eau, on voit nettement la différence de réglage obtenue en ligne droite, mais aussi lors des transitions, une clé à bien des problèmes. Nous en reparlerons peut-être plus tard à l’approche de la Coupe (rires).
v&v.com : Mais, sur Oracle, vous avez aussi ce «tab», ce petit volet intermédiaire placé entre l’élément principal et les volets. Comment le réglez-vous ?
D.D. : Eh bien tu vois, on pourrait penser qu’on intervienne sur son réglage en navigation – c’est possible, certains Classe C le font d’ailleurs –, mais, encore une fois, la simplicité l’a emporté : l’angle du «tab» est asservi à l’angle du volet local ! Pour chaque section, le volet entraîne le «tab» à tourner le long de l’envergure par le préréglage d’une ouverture idéale, déterminée numériquement sur ordinateur en «Computational Fluid Dynamic» (CFD).
v&v.com : Le fait de voler sur des foils a-t-il changé la donne de vos ailes ? Conduit à les faire évoluer différemment ?
J.O. : Non, pas vraiment. Inversement, ce qu’on fait avec les AC72 – voler sur des foils – ne serait tout simplement pas possible sans les ailes ! J’irai même plus loin en disant que les ailes sont un élément indispensable pour pouvoir manœuvrer et régater avec un gros multicoque ! Avec des bateaux aussi puissants, les efforts nécessaires pour régler les voiles sont trop importants pour être gérables par un équipage sur des parcours courts. Il faut pouvoir border et choquer de manière très rapide – aujourd’hui, seules les ailes permettent de le faire, grâce aux efforts proportionnellement très faibles qui s’exercent sur le chariot.
v&v.com : L’expérience que vous avez accumulée sur le trimaran géant USA-17 a-t-elle été un véritable atout pour l’équipe d'Oracle ?
J.O. : Incontestablement. Un de nos avantages a été de savoir à l’avance sur quels éléments focaliser le développement de nos ailes, sans nous perdre dans un design compliqué. C’est pourquoi nos ailes sont finalement très simples : elles font le job requis. L’héritage d’USA-17 a permis de mettre rapidement les priorités sur les points fondamentaux, définir l’enveloppe de fonctionnement, le système de contrôle et l’aérodynamique de la plate-forme, sans chercher à intégrer des options coûteuses qui existent sur d’autres ailes, comme celles des Classe C par exemple. Et les designers et ingénieurs impliqués étaient déjà présents sur USA-17 : Dimitri, bien sûr, mais aussi Mario Caponnetto et Francis Hueber, entre autres.
v&v.com : Avoir une belle aile, c’est bien. Mais, à 40 nœuds et plus, il faut soigner tout ce qui freine – donc l’hydro et l’aérodynamisme ?
D.D. : Oh oui ! Toutes les équipes se sont efforcées d’obtenir une aile la plus «propre» possible en minimisant les parties dépassant de la forme aérodynamique. Vu les vitesses atteintes au près comme au portant, le fardage n’est clairement pas un ami de la performance ! En tout cas, cela a été un point crucial pour nous. La plate-forme du deuxième Oracle dispose ainsi d’un «pod», sorte de pied central sur lequel vient s'accrocher une structure légère «en dur» faisant office de «plaque d’extrémité» pour l’aile. Cette structure permet de séparer les écoulements de l’intrados et de l’extrados, de produire un «effet de plaque», qui limite les vortex, les tourbillons néfastes le long du panneau bas de l’aile. C’est le fameux effet de sol recherché en Formule 1. Et c’est en gros ce que les Néo-Zeds d’ETNZ cherchent à faire avec leur structure en arc entre les poutres en «Y». Cette plaque d’extrémité, c'est d’ailleurs sur notre premier AC72 qu'elle est apparue. Mais il n'est pas étonnant que l'ensemble des défis pensent à ça, c'est du bon sens aéro – tout comme les carénages sur l'arrière des bras. Cela dit, il faut le reconnaître : l’aérodynamisme d'Oracle a vraiment été poussé à l'extrême dès le début.
v&v.com : Quitte à produire des flotteurs certes moins pénalisants en termes de traînée que ceux d’ETNZ, mais peut-être un peu «limites» en termes de flottabilité aux étraves, non ?
D.D. : C'est un débat. Mais toutes les études prouvent le bien-fondé de cette démarche. Et je peux te garantir une chose : dans notre situation, en octobre dernier, ETNZ aurait chaviré aussi bien que nous, volume dans les étraves ou pas !
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Une interview fort instructive de Gautier Sergent de North Sails, qui a travaillé pendant six mois sur la modélisation des structures des voiles d’Artemis, demi-finaliste de la Louis Vuitton Cup,
où l'on en apprendra un peu plus sur les voiles d'avant, en 3Di, des AC72. Quelques mots sur les ailes également.
https://soundcloud.com/north-sails-france/coupe-de-lamerica-gautier
où l'on en apprendra un peu plus sur les voiles d'avant, en 3Di, des AC72. Quelques mots sur les ailes également.
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Laurent - Administrateur du site
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Une partie de l'interview de Gautier Sergent, en écrit :
"Nous vous proposons ici un décryptage en compagnie de Gautier Sergent, dessinateur à Vannes, qui a été chargé d’études pour l’équipe suédoise Artemis Racing (éliminée en demi-finale de la Louis Vuitton Cup par le challenger italien Luna Rossa).
Gautier, on vante souvent la fiabilité des voiles quand on parle du 3DiTM sur des navigations de longue durée, quels sont les avantages principaux du 3DiTM pour les AC 72, qui naviguent eux en match-race ?
« Il y a deux intérêts majeurs au niveau du 3DiTM : la longévité en effet d’un côté, et la stabilité de l’autre. C’est ce deuxième aspect qui est très intéressant ici. A quantité de matière égale, le 3DiTM présente un allongement beaucoup plus faible par rapport aux autres voiles à membrane et fibres existantes, où nous avons des fils qui sont torsadés et qui vont, intrinsèquement, s’allonger plus qu’un filament, de par leur élasticité. Le gain principal se situe là, surtout sur des voiles d’AC 72 où d’AC 45 et de multicoques en général. Le moindre allongement a un impact énorme en raison des charges élevées et du peu de volume des
voiles. Sur les bateaux de la Coupe, on joue donc énormément sur cette stabilité des matériaux, qui nous a permis de tenir une forme très plate, avec un creux qui ne bouge pas, des chutes qui ne ferment pas. Ça nous a donné des outils qui répondent aux contraintes spécifiques des multicoques, d’autant plus avec l’aile et les foils. Lors d’un match sur la Coupe, il faut savoir que les vents apparents sont situés entre 17° au près et 25° au portant, donc tu navigues à 150° du réel et à 25° de l’apparent. C’est pourquoi les voiles sont très plates. Un empannage s’effectue bout au vent ! Il est d’ailleurs intéressant de voir les traces des AC 72 en régate, ils suivent l’apparent tout le temps. Ils lofent, ils abattent, et ainsi de suite. La voile doit donc être très stable. »
Ces évolutions ont-elles changé la façon de naviguer sur les bateaux de la Coupe de l’America ?
« Avec des bateaux qui volent grâce à leurs foils, la donne a complètement changé au portant. Il n’y a plus de gennaker parce que les angles apparents sont trop serrés et la traînée hydrodynamique beaucoup plus faible. Cela a révolutionné l’approche qu’on imaginait pour un bateau comme ça. Au début des campagnes, les bateaux avaient de gros gennakers. Très vite ils sont passés sur des codes 0 beaucoup plus petits et plus plats. Et puis maintenant on voit qu’ils naviguent au près et au portant avec la même voile. Il n’y a plus de changement de voile à la bouée au vent, on abat et l’apparent varie tellement peu qu’il n’y a pas besoin de mettre des voiles beaucoup plus puissantes. D’ailleurs, quand on abat au-delà de 100 degrés du réel, on borde les voiles car l’angle du vent apparent diminue étant donné que le bateau accélère. Cela est lié à deux choses : d’une part le fait que les ailes sont surdimensionnées, le bateau est donc toujours en surpuissance, il n’y a pas besoin d’en obtenir davantage avec la voile d’avant. D’autre part, du fait que les AC 72 volent grâce à leurs foils, la traînée hydrodynamique diminue et le bateau génère son propre vent apparent. Ainsi, on n’a pas besoin d’une surface de voile et d’une puissance énormes. Au lieu de dessiner une voile de près et une voile de portant, on a donc une même voile qui fait l’aller-retour. Elle doit être suffisamment légère et creuse pour tenir au portant et assez solide et stable pour les allures au près où les charges sont plus importantes. Ça nous a poussés à concevoir des voiles un peu hybrides, chose que l’on n’avait jamais faite jusqu’ici. D’où cette idée de révolution... »
Une photo donnant quelques détails sur les matériaux utilisés de certaines parties des ailes rigides :
(ouvrir l'image dans une nouvelle fenêtre ou onglet pour obtenir la taille maximale et donc lisible)
Laurent
"Nous vous proposons ici un décryptage en compagnie de Gautier Sergent, dessinateur à Vannes, qui a été chargé d’études pour l’équipe suédoise Artemis Racing (éliminée en demi-finale de la Louis Vuitton Cup par le challenger italien Luna Rossa).
Gautier, on vante souvent la fiabilité des voiles quand on parle du 3DiTM sur des navigations de longue durée, quels sont les avantages principaux du 3DiTM pour les AC 72, qui naviguent eux en match-race ?
« Il y a deux intérêts majeurs au niveau du 3DiTM : la longévité en effet d’un côté, et la stabilité de l’autre. C’est ce deuxième aspect qui est très intéressant ici. A quantité de matière égale, le 3DiTM présente un allongement beaucoup plus faible par rapport aux autres voiles à membrane et fibres existantes, où nous avons des fils qui sont torsadés et qui vont, intrinsèquement, s’allonger plus qu’un filament, de par leur élasticité. Le gain principal se situe là, surtout sur des voiles d’AC 72 où d’AC 45 et de multicoques en général. Le moindre allongement a un impact énorme en raison des charges élevées et du peu de volume des
voiles. Sur les bateaux de la Coupe, on joue donc énormément sur cette stabilité des matériaux, qui nous a permis de tenir une forme très plate, avec un creux qui ne bouge pas, des chutes qui ne ferment pas. Ça nous a donné des outils qui répondent aux contraintes spécifiques des multicoques, d’autant plus avec l’aile et les foils. Lors d’un match sur la Coupe, il faut savoir que les vents apparents sont situés entre 17° au près et 25° au portant, donc tu navigues à 150° du réel et à 25° de l’apparent. C’est pourquoi les voiles sont très plates. Un empannage s’effectue bout au vent ! Il est d’ailleurs intéressant de voir les traces des AC 72 en régate, ils suivent l’apparent tout le temps. Ils lofent, ils abattent, et ainsi de suite. La voile doit donc être très stable. »
Ces évolutions ont-elles changé la façon de naviguer sur les bateaux de la Coupe de l’America ?
« Avec des bateaux qui volent grâce à leurs foils, la donne a complètement changé au portant. Il n’y a plus de gennaker parce que les angles apparents sont trop serrés et la traînée hydrodynamique beaucoup plus faible. Cela a révolutionné l’approche qu’on imaginait pour un bateau comme ça. Au début des campagnes, les bateaux avaient de gros gennakers. Très vite ils sont passés sur des codes 0 beaucoup plus petits et plus plats. Et puis maintenant on voit qu’ils naviguent au près et au portant avec la même voile. Il n’y a plus de changement de voile à la bouée au vent, on abat et l’apparent varie tellement peu qu’il n’y a pas besoin de mettre des voiles beaucoup plus puissantes. D’ailleurs, quand on abat au-delà de 100 degrés du réel, on borde les voiles car l’angle du vent apparent diminue étant donné que le bateau accélère. Cela est lié à deux choses : d’une part le fait que les ailes sont surdimensionnées, le bateau est donc toujours en surpuissance, il n’y a pas besoin d’en obtenir davantage avec la voile d’avant. D’autre part, du fait que les AC 72 volent grâce à leurs foils, la traînée hydrodynamique diminue et le bateau génère son propre vent apparent. Ainsi, on n’a pas besoin d’une surface de voile et d’une puissance énormes. Au lieu de dessiner une voile de près et une voile de portant, on a donc une même voile qui fait l’aller-retour. Elle doit être suffisamment légère et creuse pour tenir au portant et assez solide et stable pour les allures au près où les charges sont plus importantes. Ça nous a poussés à concevoir des voiles un peu hybrides, chose que l’on n’avait jamais faite jusqu’ici. D’où cette idée de révolution... »
Une photo donnant quelques détails sur les matériaux utilisés de certaines parties des ailes rigides :
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Laurent
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Re: Quelques réflexions de pros, sur les ailes rigides
Joseh Ozane, sur V&V.com début mars 2014, dévoile son tout nouveau simulateur, en développment, "qui permet à tout le monde – navigants et ingénieurs – de voir naviguer un bateau de manière virtuelle, mais réaliste, de faire évoluer le bateau avant même de le mettre à l’eau, d’avoir un simulateur qui permette de comprendre tout ce qui se passe – et de bien se comprendre au sein d’une équipe."
Il revient un moment sur un aspect technique des ailes, intéressant à partager :
v&v.com : Cela dit, Joseph, l’aile d’Oracle, lors de la dernière édition, était-elle vraiment supérieure à celle d’ETNZ ? On avait l’impression sur l’eau que les ailes avaient des rendements proches malgré une géométrie assez différente, non?
Joseh Ozane : Oui, on l’avait d’ailleurs évoqué ensemble lors d’une précédente interview. Il y a beaucoup d’idées reçues sur les ailes. Sur l’eau, la différence ne se faisait pas avec les ailes elles-mêmes, mais par la façon dont elles étaient réglées – et ça, ça gère à peu près 90 % de la performance totale.
v&v.com : Plus que la géométrie elle-même, ce qui compte, c’est le contrôle des profils, la maîtrise du vrillage….
Joseh Ozane : Voilà. Et le fait qu’elle ait deux ou trois volets, ça ne change pas grand-chose. Enfin, si… ça pourrait avoir des incidences dans le très petit temps, mais ce ne sont pas les conditions qu’on a rencontrées. En fait, la différence vient de la cohérence globale du bateau, de l’effort qu’on a fait dans l’aérodynamique, dans les appendices. D’ailleurs, lors de cette dernière édition, mon implication a bien plus concerné la performance globale du bateau que l’aile proprement dite.
P.S: un détail en passant, on apprend dans cet article qu'un foil d'AC72 coute entre 300 000 et 500 000 dollars !
Il revient un moment sur un aspect technique des ailes, intéressant à partager :
v&v.com : Cela dit, Joseph, l’aile d’Oracle, lors de la dernière édition, était-elle vraiment supérieure à celle d’ETNZ ? On avait l’impression sur l’eau que les ailes avaient des rendements proches malgré une géométrie assez différente, non?
Joseh Ozane : Oui, on l’avait d’ailleurs évoqué ensemble lors d’une précédente interview. Il y a beaucoup d’idées reçues sur les ailes. Sur l’eau, la différence ne se faisait pas avec les ailes elles-mêmes, mais par la façon dont elles étaient réglées – et ça, ça gère à peu près 90 % de la performance totale.
v&v.com : Plus que la géométrie elle-même, ce qui compte, c’est le contrôle des profils, la maîtrise du vrillage….
Joseh Ozane : Voilà. Et le fait qu’elle ait deux ou trois volets, ça ne change pas grand-chose. Enfin, si… ça pourrait avoir des incidences dans le très petit temps, mais ce ne sont pas les conditions qu’on a rencontrées. En fait, la différence vient de la cohérence globale du bateau, de l’effort qu’on a fait dans l’aérodynamique, dans les appendices. D’ailleurs, lors de cette dernière édition, mon implication a bien plus concerné la performance globale du bateau que l’aile proprement dite.
P.S: un détail en passant, on apprend dans cet article qu'un foil d'AC72 coute entre 300 000 et 500 000 dollars !
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