par Alain Oriot » 07 Nov 2012, 14:37
J'essaie de répondre à tes questions Laurent
- Marchaj, dans son livre Sail performance, qui est quasiment le seul à avoir fait un travail systématique en soufflerie sur quasiment toutes les voiles, y compris les voiles épaisses, donne les résultats suivants, en donnant des coefficients de portance Cp et des coefficients de traînée Ct pour chaque voile, ça dépend aussi du nombre de Reynolds qui est un nombre sans unité (Re = masse volumique du fluide x vitesse du fluide x longueur de la corde du profil / viscosité dynamique Re = gVL/µ):
Voile plate en position rigide (sans mât, sans dévente et sans fasseyement) : Cp autour de 1 à 1,15 (maxi) Ct autour de 0,30 à 0,35
Aile dissymétrique simple avec courbure de la corde : Cp 1,29 à 1,3 Ct de 0,015
Aile à deux volets (60%/40%) avec fente sans incidence du second volet : Cp 1,55 Ct 0,0188
Aile à deux volets (70%/30%) avec fente, dont le second volet est orienté à 40° : Cp 1,98 Ct 0,0164
Ces données sont sans doute à actualiser avec tous les essais faits en soufflerie récemment.
Les différences sont importantes non seulement en portance, mais surtout en traînée, c'est-à-dire en gîte pour un monocoque : entre la voile plate au près et l'aile à deux volets avec incidence de 40°du second volet, on est à 1,72 de gain de portance (1,98 / 1,15), mais surtout 18 fois moins de traînée (0,30 / 0,0164). Ceci explique le témoignage de Guy, du propriétaire de Matin Bleu, de la très faible gîte de son voilier, autour de 10°-15°, car même si ses ailes n'ont pas de fente, le coefficient de traînée des ailes épaisses ne dépasse pas 0,02 quand une voile plate est à 0,30… et la dérive imperceptible que nous avons constaté sur notre essai de l'“AC18” (sic!).
Il y a, depuis les travaux de Marchaj, beaucoup de littérature (des thèses surtout) en mécanique des fluides sur les ailes et sur l'apparition de la turbulence… c'est sur la compréhension de la turbulence que les progrès se font en ce moment, et on redécouvre tous les moyens qu'a déjà inventés la nature :
• comme les nageoires ondulées des baleines qu'on copie sur les éoliennes,
• les écailles micro-strillées des requins (utilisées dans un essai d'un des derniers défis monocoque de la coupe de l'America),
• les micro-rainures remplies de mucus de la peau des dauphins qui diminuent l'adhérence de l'eau à la peau,
• l'accélération du fluide sur l'extrados avec le vol battu, par ouverture brutale des ailes par le bord d'attaque, comme font les mouches dont les ailes ne décrochent pas à moins de 70°(!!!) d'incidence… ou les pigeons qui leur permettent de faire des décollages verticaux,
• le papillon qui envoie des tores de fluide alternativement vers le bas et vers l'AR comme un engin à réaction, ce qui explique son vol en dent de scie,
• les extrémités des ailes de certains oiseaux avec une plume qui prolonge le bord d'attaque et une plume qui prolonge le bord de fuite, créant deux vortex contrariés (qui s'annulent) de bout d'aile ce qui agrandit virtuellement la surface efficace de l'aile. C'est peut-être ce moyen qu'utilisaient les Polynésiens avec leurs voiles en pince de crabe fortement effilées,
• le volet d'intrados, utilisé aussi par les oiseaux à l'atterrissage… et nos avions
• l'aile delta, réinventée 20 000 ans après les Polynésiens, par les Américains pour lancer des missiles, etc.
- La fente devient de plus en plus intéressante, justement quand l'aile a plus d'incidence. C'est à ce moment que, sans fente, l'extrados devient turbulent, en partant de l'AR de l'extrados et en remontant sur l'AV de l'extrados au fur et à mesure que le profil global croît en incidence. Ceci est bien visible dans les images de la thèse sur Invictus que tu as mise en ligne.
- Le témoignage de Guy dont tu parles, au portant, n'est pas contradictoire. Si, par exemple, on est au vent AR (180°), et qu'on met la voile avec une incidence de 15° par rapport au vent, donc de (180°-15°) 165° par rapport à l'axe du voilier, à ce moment le voilier tend à reculer !!! Au vent AR, l'aile est forcément en régime turbulent, comme une grande voile ou un spi si on veut avancer, fente ou pas fente.
L'intérêt de la fente est pour les allures du près bon plein jusqu'au petit largue avec le vent apparent, lié à l'avancement du voilier, dont il faut tenir compte.
- Je n'ai piloté qu'une fois un avion de tourisme. Je m'intéresse à la mécanique des fluides depuis longtemps, en amateur, mais en ayant beaucoup lu de littérature et de cours en mécaflu, puis j'ai beaucoup échangé avec un ami de 30 ans qui a passé sa vie à étudier les vagues, donc tous les processus turbulents.
Cordialement
Alain